Macbeth plus chair que sang à l’Opéra de Saint-Etienne
Coproduite avec l’Opéra de Nice où cette production fut présentée en mai 2022 avec une distribution vocale différente, ce spectacle transposé dans les années 1920 continue visiblement de laisser perplexe. Daniel Benoin, par ailleurs créateur des lumières, a souhaité mettre l’accent sur l’émancipation relative des femmes au terme de la Grande Guerre, transformant notamment les sorcières en ouvrières d’usine, menaçantes et devineresses.
L’imposant décor (Jean-Pierre Laporte) de l’Acte I semble comme évoquer le passé ouvrier de Saint-Etienne avec ces maisons de brique toutes identiques et cette ouverture vers un énorme chaudron rougeoyant occupant l’espace d’entrée de l’usine sidérurgique qui emploie toutes ces femmes. La sortie d’usine des ouvrières avec la cigarette aux lèvres pourrait aisément trouver sa place au sein d’une représentation de Carmen. Elles reviendront dans ce même lieu au cours de l’Acte III pour répondre aux interrogations angoissées de Macbeth sur son devenir et pour interpréter un ballet devenu ici danse des balais.
Les appartements de Macbeth et de son épouse s’inspirent pour leur part du mouvement artistique de l’Art Déco des années 20 tant au niveau des murs, des frises que du mobilier, dont un lit qui ne bougera jamais même durant la scène tragique de banquet. Des vidéos présentant des images de guerre douloureuses du premier conflit mondial sont projetées sur un écran qui ferme la scène, tandis que les silhouettes des spectres apparaissent en filigrane à Macbeth. Ces vidéos fortes ont été élaborées par Paulo Correia tandis que Nathalie Bérard-Benoin a conçu les costumes, tous en phase avec les propositions de Daniel Benoin.
Au-delà, la mise en scène en elle-même et les déplacements des chanteurs demeurent assez traditionnels en soi tant sur la forme que sur le fond.
Dans le rôle-titre, le baryton letton Valdis Jansons fait forte impression. Peu présent en France malheureusement (il fut Scarpia dans Tosca à l’Opéra de Tours en 2017), Valdis Jansons déploie une voix assez claire somme toute en terme de texture, vaillante et aux aigus faciles, particulièrement bien assise au niveau du souffle, tout en conférant un fort caractère au personnage de Macbeth. Il n’est pas tout à fait le baryton-Verdi attendu dans le rôle (dans la matière et le caractère), mais il donne au personnage une réelle et puissante consistance, en totale concordance avec la Lady Macbeth de Catherine Hunold.
Celle-ci impose des moyens affirmés et une projection en salle qui impressionne (ici encore, aux antipodes de la méchanceté vocale aussi que Verdi souhaitait pour le rôle). Le soprano dramatique de Catherine Hunold s’avère particulièrement séducteur par la clarté du timbre, sa vigueur, son phrasé toujours harmonieux et cette implication constante tout au long de l’ouvrage. La partie basse de la voix pourrait être plus affirmée pour ce rôle parmi les plus difficiles du répertoire italien et deux ou trois aigus se situent au maximum de sa tessiture. Mais la véracité de la composition avec ses phases sanglantes et sa détermination sans faille, puis son basculement vers la folie et la mort, s’expriment complètement.
Belle basse aux riches harmoniques, Giovanni Battista Parodi, malgré quelques ruptures dans la ligne de chant, campe un Banco très humain. La jeune soprano Cyrielle Ndjiki possède une voix de grand soprano lyrique, qui surprend par ses facilités et sa présence dans le rôle de la suivante de Lady Macbeth.
Deux ténors remarqués interprètent respectivement les rôles de Macduff et de Malcolm. La voix solaire et très italienne de timbre de Samy Camps, aux aigus fort radieux, trouve à pleinement s’exposer dans l’air de Macduff de l’Acte IV “Ah, la paterna mano” tandis que Léo Vermot-Desroches, ténor plus dramatique et intense le rejoint pour le duo patriotique, qu’ils rendent tous deux un peu plus exaltants.
La basse Geoffroy Buffière campe un médecin solide et compatissant. Les courtes répliques des apparitions ont été confiées à des artistes du Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire. Ce dernier, préparé par Laurent Touche, se donne sans compter et démontre ses qualités d’ensemble, même si quelques décalages se font jour au troisième acte du côté féminin.
La direction musicale de Giuseppe Grazioli vise à la pleine efficacité verdienne et s’avère particulièrement sensible à créer les atmosphères ou souligner les ruptures. Le chef italien connaît ce répertoire sur le bout des doigts, il entraîne l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire sur ces chemins dramatiques avec acuité et détermination, obtenant des cordes mais aussi des cuivres le meilleur d’eux-mêmes.
Le public présent réserve justement de vifs et longs applaudissements à ce Macbeth et à ses interprètes.
De quoi se donner rendez-vous pour la saison prochaine, que le Directeur des lieux, Eric Blanc de la Naulte vous présente à ce lien.