Anne Sofie von Otter fait son show au Grand Théâtre de Genève
Anne Sofie von Otter a chanté sur les plus grandes scènes au monde, travaillé avec des artistes légendaires, interprété les plus grands rôles d’opéra et il lui reste une envie de partager son bonheur de la scène et de le communiquer avec le public. Un vœu accompli à nouveau ce soir pour la mezzo-soprano naviguant avec allégresse de Reynaldo Hahn à Barbara en passant par des airs traditionnels suédois et écossais.
Le concert s’ouvre par la mélodie française de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle : “Puisque j’ai mis ma lèvre” de Reynaldo Hahn suivi de “L’Anneau d’argent” et “Ma première Lettre” de Cécile Chaminade, avant Verlaine mis en musique par le méconnu Charles Martin Loeffler dans sa Sérénade pour voix, alto et piano et Baudelaire dans la partition découverte en 2001, “Les soirs illuminés par l’ardeur du Charbon” de Claude Debussy, sous les doigts délicats du pianiste Christoph Berner, remplaçant Bengt Forsberg. Enfin, en cette première partie, “La mort des amants” de Baudelaire mis en musique par Jean Musy et récité au micro par Anne Sofie von Otter sur les arpèges épurés du guitariste Fabian Fredriksson offre un moment poétique suspendu (micro qu’elle gardera pour la dernière partie du programme, “Douce France” dédiée à la chanson française). Après l’entracte, la chanteuse revêt des baskets roses vives pour entonner des airs traditionnels écossais puis une reprise de Benny Andersson (un des fondateurs du groupe ABBA) : la mezzo-soprano fredonne, chante, tape du pied et danse au rythme de l’accordéon populaire de Bengan Janson.
La chanteuse au timbre cristallin chante avec élégance et clarté. La qualité de ses voyelles fait entendre un français d’un grand raffinement dont l'auditoire savoure le parfum sonore de chaque mot. Si, à 68 ans, la voix a perdu de sa puissance avec des médiums un peu ternis, les aigus n’ont pas pris une ride.
Le concert fait aussi la part belle à des œuvres purement instrumentales. Deux œuvres de Sibelius de petit format (Valse et Rondino) sont interprétées avec malice ponctuée de silences poignants par la violoniste suédoise Malin Broman et le pianiste autrichien Christoph Berner qui s’intègre parfaitement au groupe suédois. Dans les mélodies, il dépose un tapis sonore et rythmique à l’écoute de la chanteuse. Tous ses silences, ses respirations et ses rubatos (souplesses de tempo) organiques soutiennent et se mettent au service de la voix d’Anne Sofie von Otter. En chanson, il trouve la sonorité juste et en musique jazzy, il fait résonner le piano comme une contrebasse ou un brass band.
Conteuse, “la” von Otter appelle tour à tour sur scène avec une joie communicative les musiciens. La salle est éclairée pendant toute la durée du concert afin de maintenir un lien direct avec le public. Même au micro, pour chanter Camille, Barbara, Moustaki, Léo Ferré (où l’arrangement est toutefois trop fourni) devant un public peu habitué à ce type de concert dans un haut lieu de la musique classique, l’âme populaire de ces mélodies fait le fil rouge et le succès de cette soirée : les musiciens sont acclamés et donnent trois bis. Comme un témoignage d’une carrière à la longévité remarquée, la mezzo-soprano continue de chanter “La chansonnette” d’Yves Montand tout en quittant la scène.
C’est un triomphe pour la grande artiste Anne Sofie von Otter et son pari de réunir sur un même programme chanson populaire et musique classique.