À Travers Chants poursuit sa route musicale-pédagogique avec Ernest et Célestine
Les origines de ce projet À Travers Chants remontent à 2015, comme nous l’explique Bruno Messina, qui dirige “AIDA” (Arts en Isère Dauphiné Alpes), structure réunissant désormais le Festival Berlioz, le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz – Isère, Les Allées Chantent (“tournée de 80 concerts par an dans des lieux emblématiques du patrimoine”), À Travers Chants, La Maison Messiaen (résidence d’artistes), le Concours International Olivier Messiaen ainsi que le Festival Messiaen au Pays de la Meije. Et bien entendu tout remonte à Berlioz, le projet comme le nom même de celui-ci : « L'origine c'est Berlioz ! Tout est parti du Te Deum de Berlioz que nous avons joué pour le Festival Berlioz en 2015 au Théâtre Antique de Vienne (en Isère). Berlioz souhaite 600 enfants pour son chœur dans cette œuvre, et son désir fut donc notre volonté. Mais nous n'avions pas assez de jeunes chanteurs disponibles, même en allant chercher ailleurs en France. J’ai donc décidé la mise en place d'ateliers dans les écoles pendant de longs mois pour former des enfants qui n'avaient pas du tout habituellement accès à la musique.
Le Président du Département, Jean-Pierre Barbier, qui soutient énormément la culture, m'a demandé d'où venaient ces enfants interprétant cet impressionnant Te Deum. Je lui ai répondu qu'ils venaient d'ici : du territoire, de la campagne. Il a trouvé cela extraordinaire et m'a demandé si nous pouvions reproduire l'événement. Nous avons alors imaginé une Journée des enfants dans le cadre du Festival Berlioz. C'est ainsi que cela a commencé, et que le Département de l'Isère nous a donné les moyens de ce projet. Rapidement, cette Journée des enfants a débordé du Festival Berlioz : nous avions une ambition plus grande encore (et davantage besoin de temps de répétitions). Nous avons alors formé des intervenants, pour les envoyer dans les écoles de janvier à juin, afin d’y transmettre le son, l'œuvre, la participation et l'opéra aux enfants : nous avons ainsi permis à des communes d'avoir des intervenants pendant des mois en amont d'un spectacle (le tout gratuitement).
Quant au nom du projet, il était assez évident : À travers chants est le titre d'un recueil de nouvelles, histoires, chroniques du grand écrivain qu'est aussi Berlioz. Or, ce projet choral est né du parrainage du Festival Berlioz, et ce titre est également formidable pour nous avec cette homophonie, cette confusion possible entre le chant choral et les champs que parcourt ce projet (qui renvoient aussi à ceux de la “Scène aux champs” dans la Symphonie fantastique de Berlioz). Berlioz, dont nous sommes dépositaires de l’héritage, avec son Musée et son Festival ici à La Côte-Saint-André, nous a fait un beau cadeau en nous offrant le titre du projet. »
Nous partîmes 600…
« Le dispositif est très souple, explique Bruno Messina : nous avons pu nous déployer partout, dans la ruralité (de la plaine du Rhône jusqu'aux sommets du Trièves ou de Matheysine). Il suffit d'une dizaine d’enfants volontaires dans une école, un centre social, un centre d'animation et nous envoyons un intervenant (tout est pris en charge, avec le financement du Département). Le dispositif est si généreux et si souple que les forces vives du projet (enfants, animateurs, accompagnateurs) viennent aussi vers nous. L’engouement est allé sans cesse croissant : à la sortie de l'épidémie, il y avait 1.000 inscrits (c'est énorme à l'échelle des effectifs dans la ruralité et de la jeunesse du projet). J'ai fait part de ce regain d'enthousiasme des participants (et de nos besoins supplémentaires pour les encourager) au Président du Département et il m'a répondu que tant qu'il y aura des inscrits et cette volonté d'accompagner de la musique, nous serons accompagnés. Ce furent ainsi 1.000 enfants, puis 1.200, et 1.600 cette année !
Ce projet fait aussi travailler les intermittents du spectacle, les Dumistes [titulaires du DUMI : le Diplôme Universitaire de Musicien Intervenant qui permet d'enseigner la musique au primaire, ndlr] et les professeurs de musique en collège qui ont l'envie de s'investir, mais aussi des professeurs de français, d’arts plastiques, des instituteurs qui se passionnent pour le projet. C’est un accompagnement qui offre une immersion totale dans le monde de l’art aux enfants. Nous avons la volonté de continuer de développer ce projet encore davantage à l'année, et d’année en année. »
À travers l’année
Bruno Messina poursuit : « L'automne sert à réunir les équipes d'intervenants pour leur présenter le projet et l'organisation (pour ses actualisations aussi car le projet évolue avec les retours d'expériences, et du travail des compositeurs). Nous commençons à remettre les partitions pour la préparation. À partir de janvier, ils vont dans les écoles toutes les semaines ou quinzaines, puis nous organisons des répétitions partielles et enfin des répétitions générales sur le grand plateau, la grande scène du Festival Berlioz : déjà dans cet environnement prestigieux et impressionnant pour les enfants, qui donne la dimension de grandeur au projet (même s'ils ne connaissent pas tous -encore- Joyce Didonato ou Michael Spyres, ils se rendent compte de la dimension et de l'importance de la salle). »
Quant au titre et à l’ouvrage, choisi chaque année pour ce programme À Travers Chants, il doit permettre un travail accessible et exigeant avec les enfants. Suite au Te Deum de Berlioz, À Travers Chants a ainsi présenté La Sorcière du placard aux balais (2016), Le Petit Ramoneur (2017), L’Homme qui plantait des arbres (2018), Le Prince heureux (2019), Le Prince de Motordu (2021), Le Voyage autour du Monde de La Pérouse (2022) et donc cette année, L’opéra d’Ernest et Célestine.
« Nous ne sommes pas enfermés dans une esthétique, confirme Bruno Messina. Nous partons d'un texte souvent écrit, de la littérature : d'un texte dont les enfants peuvent s'emparer. La belle lisse poire du Prince de Motordu de Pef a ainsi été mise en musique par Michèle Bernard, nous avons revu Le Voyage de La Pérouse avec la musique de Jon Appleton. Cette année nous travaillons L’opéra d’Ernest et Célestine, adaptation du roman de Daniel Pennac, composée par Karol Beffa (qui a totalement repensé la pièce radiophonique qu'il avait composée pour ce roman afin d'en faire un opéra pour enfants). Plus tard, Bruno Coulais (connu pour ses musiques de films) a vocation à participer ainsi que Jérémie Rhorer en tant que compositeur (pour une adaptation d'un conte d'Andersen).
Ernest et Célestine est un grand roman de la littérature populaire et pour enfants. Ce sont des personnages qui continuent de vivre (cet ours et cette souris nés dans les dessins de l’illustratrice belge Gabrielle Vincent qui a inspiré le scénario et le roman de Pennac [la petite souris Célestine y récolte des dents grâce à l'aide de l'ours affamé Ernest, qu'elle aide à pénétrer dans une confiserie, ndlr]). Ils vont d’ailleurs être traités différemment dans cet opéra, par une transposition (comme cela se fait dans les mises en scène d’opéra) : ils sont là mais pas sous la forme qu’on imagine.
Quand j’ai entendu l’émission radiophonique très sérieuse avec Pennac, des voix adultes et une musique de Karol Beffa, je suis allé le voir en lui demandant si cette pièce était adaptable, pensable en opéra pour la scène et ce contexte. Il m’a répondu que c’était possible mais en repensant et réadaptant totalement la partition. Il a totalement modifié la dramaturgie, l'équilibre même de sa pièce, pour intégrer des chœurs, créer des lignes mélodiques, des chants qui puissent être facilement interprétés par des enfants qui ne sortent pas d’une maîtrise ou d’un conservatoire. C'est un travail de simplicité qui n’est jamais simple, notamment pour des gens cérébraux comme Karol. Nous sommes toujours dans ses textures, post-tonales, dans le contexte de sa musique : il n’est pas allé dans la facilité mais il donne des repères (tonalité, modalité) qui permettent aux enfants de s’y retrouver. Le grand chœur va intervenir à plusieurs reprises, avec une musique dont les dynamiques et les tempi ont été travaillés pour les enfants : ils chantent une grande partie de l’œuvre. L'œuvre est ainsi construite avec toute l'exigence des grandes productions lyriques traditionnelles : on ne fait l'économie d'aucune ambition et nous osons de grands auteurs, de grands compositeurs, le grand orchestre. Le résultat est bluffant, non seulement pour les parents mais aussi pour le public habitué des salles de spectacle vivant.
La direction musicale et du grand chœur est confiée à Pascal Adoumbou, une personnalité extrêmement intéressante ici en Rhône-Alpes : il est professeur au conservatoire de Grenoble, a monté son chœur contemporain (qui viendra cet été au Festival Messiaen au Pays de la Meije), l'Ensemble InChorus voué à la création contemporaine. C'est un artiste de l'univers de Nicole Corti, il a grandi dans sa famille artistique et vole aujourd'hui de ses propres ailes. Il a de grandes compétences musicales, mais avec une grande simplicité qui le fait adorer des enfants. Il est un peu un grand frère, par la proximité et l'exigence. Et Jeanne Debost (bien connue du monde musical, pour des adaptations avec sa compagnie Opéra.3 dans des formes hybrides, stimulantes et étonnantes) a pensé sa mise en scène pour que les enfants occupent le plateau tout en étant acteurs. »
Karol Beffa connaît bien Daniel Pennac et Bruno Messina avec qui il avait participé en 2019 au Festival Berlioz : d’une part, pour la création de sa composition On the Dust I love, sur un poème de Lord Byron traduit en français, avec la mezzo-soprano Albane Carrère et l’Orchestre national de Metz sous la direction de David Reiland ; d’autre part, pour un récital avec également Albane Carrère et Karol Beffa lui-même au piano. Quant à Daniel Pennac, le compositeur a maintes fois collaboré avec lui. Il nous a parlé de l’adaptation de leur fiction radiophonique Le Roman d’Ernest et Célestine en opéra pour enfants : « Enfant, je ne connaissais pas les albums d’Ernest et Célestine de Gabrielle Vincent, mais je les ai lus à mes jeunes cousins quand j’étais adolescent. J’ai d’emblée été touché par la finesse du dessin, le coloris très délicat et un ton à la fois tendre et malicieux. Pour le roman dont est issue cette fiction radiophonique, Daniel Pennac s’était inspiré de l’histoire de ces deux personnages de Gabrielle Vincent, un gros ours et une petite souris, et l’avait faite sienne, insistant sur la communication entre ces deux mondes que l’on pourrait croire étanches, celui des ours en haut et celui des souris en bas. Le roman et la fiction radiophonique Ernest et Célestine repose sur un jeu subtil de symétries et d’asymétries. Comme souvent chez Pennac, il y a plusieurs niveaux de lecture possibles. L’auteur aborde les questions de justice, de tolérance, de liberté, de bonheur, le tout avec tendresse et humour, deux des ingrédients qui font son succès. J’avais auparavant collaboré avec Daniel Pennac pour L'Œil du loup, un conte musical, commande de l’Orchestre de chambre de Paris. Et je suis en train de terminer l’adaptation également en conte musical de Cabot-Caboche, une commande conjointe de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, de l’Orchestre de la Suisse Romande et de l’Orchestre du Capitole de Toulouse, avec Daniel Pennac en récitant (la création aura lieu à Monte-Carlo le 18 octobre 2023).
Pour la fiction radiophonique diffusée sur France Culture et commandée par Radio France, une sélection d’extraits avait été opérée à partir du roman. D’autres modifications ont été faites pour l’Opéra, en confiant par exemple des éléments de narration aux personnages. Le changement essentiel a été pour moi d’ajouter des chœurs d’enfants à la vingtaine d’épisodes symphoniques de la fiction radiophonique. La complexité harmonique et rythmique de certains de ces épisodes risquant de dépasser les capacités vocales des enfants, je n’ai superposé ces chœurs qu’à une dizaine d’épisodes symphoniques en question. Et j’ai composé en outre une douzaine d’interludes choraux avec accompagnement de cordes (et non d’orchestre avec les bois par deux) : c’est une musique souvent très consonante, qui peut relever de la tonalité fonctionnelle, facile à exécuter pour des enfants. Pratiquant depuis longtemps l’accompagnement de chanteurs en tant que pianiste, je connais les enjeux et les spécificités de l’écriture vocale, en particulier lorsque les interprètes sont des enfants. C’est pourquoi, pour ces interludes choraux de l’Opéra, je me suis autorisé quelques embûches rythmiques, mais seulement lorsque l’intonation était simple. Et réciproquement, je ne me suis permis quelques subtilités d’intonation que lorsque le rythme ne posait pas de difficultés.
Ce n’est pas la première fois que j’écris de la musique vocale ou chorale pour des enfants. J’avais débuté en 2004 avec Le Labyrinthe, composé pour la Maîtrise de Radio France sur un sonnet d’Olivier Dhénin : il s’agissait certes de jeunes musiciens déjà aguerris mais une des contraintes spécifiques de la commande fut d’inscrire la mélodie dans l’ambitus d'une octave, sans modulation ni changement de mesure. En 2012, j’ai composé Fragments de l'Enéide sur des vers de Virgile dans le latin d’origine, une œuvre destinée à être chantée a cappella. Elle a été créée par le chœur mixte de l'Orchestre de Paris, avec une partie chorale assez simple qu’ont interprétée des élèves des classes du collège Vincent d'Indy (désormais collège Germaine Tillion) du 12e arrondissement de Paris. La même année a été créé salle Pleyel L’Esprit de l’érable rouge, sur un texte de Minh Tran Huy, commande de l’Orchestre national d’Ile-de-France : c’est un conte musical pour récitant et orchestre bois par deux, avec une partie de chœurs d’enfants également ad libitum (au gré de l’exécutant). Enfant, j’ai moi-même chanté dans deux opéras : d’une part Le Garçon qui a grandi trop vite de Gian Carlo Menotti, d’autre part Le Petit Ramoneur de Britten (où il y a d’ailleurs également des passages de pur Britten et d’autres en musique tonale fonctionnelle), donné à l’Opéra Comique avec Nathalie Stutzmann dans le rôle de la gouvernante.
Pour l’écriture de L’Opéra d’Ernest et Célestine, je me suis autorisé un certain éclectisme. Si pour l’essentiel le style est le même que celui de ma musique pour le concert, j’ai introduit plusieurs tangos et, pour certains numéros, j’ai fait quelques clins d’œil aux musiques des films de Tex Avery : la souris Célestine m’a sans doute fait penser à Mickey Mouse et aux personnages des dessins animés du cinéma hollywoodien. L’Orchestre de La Fabrique Opéra Grenoble qui va créer l’œuvre est un orchestre mozartien, avec les bois par deux. Je n’ai à disposition qu’un seul percussionniste, pas de harpe, pas de célesta. Mais j’ai utilisé vents et cordes pour créer les effets de flou, d’irisation, de brouillard, de structures moirées que je recherchais. »
Jelly Beans, eye-candy
« J’ai imaginé la scénographie de ce spectacle comme si un enfant jouait et voulait refaire un décor pour raconter l’histoire d’Ernest et Célestine, nous raconte Jeanne Debost. Il va renverser sur le plateau son pot de bonbons, et ces bonbons sont les chœurs : ils sont comme de petits jelly beans [bonbons haricots], habillés de vives couleurs unies. Ils forment des vagues sur le plateau, dispersés (pas du tout en rangs traditionnels) : tout a été pensé ainsi, et dès le travail de préparation car les chœurs ont commencé très tôt à apprendre aussi des chorégraphies, avec la musique. Le chœur est ainsi un personnage, inventé et multiface. Ils incarnent tous les personnages (et aucun) à la fois : je travaille beaucoup ainsi. L’idée est que ce soit le plus accessible, direct, dynamique possible pour laisser la place aux enfants. Tout est musical, leurs gestes sont musicaux. Nous avons ainsi travaillé avec eux et les intervenants sur la puissance qui se déploie en joignant le geste musical aux sons. La musique est pleine quand elle peut s'exprimer à travers tous les sens, à travers toutes les zones du corps et du cerveau. Nous avons ainsi autant de partitions qui, réunies, forment une partition-musique-mouvements-scénique-lumière-textuelle. L’univers et le principe de mise en scène sont donc très simples et très clairs, les interactions des enfants sont sur la partition et toutes dirigées par le chef. Pour travailler avec de si grands groupes, nos consignes doivent être archi-claires. Les enfants sont alors très attentifs, enthousiastes, s'appuyant sur l'extraordinaire travail de préparation qu'ils font avec les intervenants. Ils m'ont impressionnée par leur travail mélodique, rythmique, et tous les repères qu’ils ont pris sur cette partition contemporaine.
L’idée qu’ils sont des petits bonbons, des petits jouets, leur permet aussi de se libérer et d'entrer pleinement dans le jeu. Et le décor même de ce spectacle immerge dans cet univers participatif : il est fait de dessins, comme ceux qu’aurait réalisés et découpés ce grand enfant dont le jeu fait vivre le plateau. Ce sont littéralement les dessins des enfants qui participent à ce projet : nous les avons tous invités à nous proposer des dessins et avons reçu des pièces absolument sublimes, et c’est ainsi qu’a été composé le décor -essentiellement imprimé- grandiose, avec une forte intensité colorée. C’est aussi là qu’apparaissent Ernest et Célestine, notamment dans les dessins des enfants qui ont inspiré une équipe d'animateurs, étudiants des Arts Déco. Toute l’histoire est ainsi montrée et racontée : la rencontre d'Ernest et Célestine, la course-poursuite, le casse dans la boutique de bonbons, le casse dans la boutique de dents, le tribunal, la maison bien cachée au fond de la forêt. Tout est là, même la morale : on est différents et on peut être les meilleurs amis du monde. Nous restons dans le principe du récit (plutôt que de l'incarnation des personnages, comme c'est le cas dans l'œuvre radiophonique). Les deux comédiens, Isabelle Monier-Esquis et Nicolas Gaudart, viennent aussi interagir avec le chœur d’enfants. Ils sont récitants, s’échangent la parole, parfois en Ernest, parfois en Célestine.
Je travaille beaucoup ainsi avec la jeunesse, dans le cadre de ma compagnie Opéra.3 (notamment aussi avec des collégiens, nous avons proposé des adaptations du Vaisseau fantôme, ainsi que de Candide) et Bruno Messina a manifesté son intérêt pour mes projets, il y a assisté. Nous partageons cette idée d'abolir les frontières dans le monde de la culture et de l'opéra : c'est exactement le même travail de qualité pour une production avec des professionnels, des enfants ou en EHPAD. Il est venu voir des spectacles que je proposais à Grenoble, et des petites formes en opéra-valise que je faisais en tournée. Il m’a ainsi invitée à travailler pour le Festival Berlioz, et nous avons proposé en 2021 Le Château des Cœurs, féerie de Flaubert dont j’ai adapté le texte, avec des musiques de Berlioz. Dès que Bruno m’a proposé de rejoindre À Travers Chants cette année, j’ai pris contact avec enthousiasme avec tout le monde sur ce projet et nous avons enclenché le travail, d’abord en visio et puis à la formation des formateurs : les intervenants que nous avons rencontrés, avec les instituteurs également, le tout avec le chef Pascal Adoumbou (j’ai eu la chance de faire sa connaissance pour ce projet, c’est vraiment une rencontre extraordinaire comme c’est souvent le cas lorsqu’on travaille avec Bruno Messina, qui, étant passionnant et passionné est entouré de gens passionnants et passionnés).
Cette aventure était d’emblée un coup de cœur absolu, et qui s’est confirmé dans les séances de travail, jusqu'aux grandes séances de répétitions (avec des groupes de 600 enfants dans la cour du Château Louis XI et dans un gymnase). C'était passionnant de travailler avec un si grand groupe et d’intégrer les éléments scéniques. C’est aussi une spécificité du projet cette année : le chœur est un personnage multiple, coloré et qui bouge. La musique est si puissante, signifiante qu'elle permet de construire et déployer cette bulle, ce monde onirique. »
À travers le temps
« L’ambiance à la fin du projet est emplie de cris de joie , raconte et s’enthousiasme Bruno Messina. Mais avant cela, ils sont assez concentrés, impressionnés. Nous rappelons les exigences d’un spectacle : la durée, la concentration, la préparation mentale et physique. Nous accompagnons entièrement les enfants pour accéder à ce monde, pour vivre cette grande fête : sur scène et avant avec les sandwichs, les copains, les parents (qui parfois n’ont pas davantage les “habitudes” du spectacle et sont ainsi incités à y revenir, par des émotions, en leur faisant aimer). Beaucoup sont très émus à la fin des spectacles. J’ai l'habitude avec les Festivals Berlioz et Messiaen de voir du public et des musiciens touchés, mais pas autant avec les larmes aux yeux. »
Ce projet À Travers Chants se déroulant à travers l’année, il apporte aussi la musique aux participants, à leurs parents et aux accompagnants à travers le temps long depuis huit années désormais : « Beaucoup des enfants participants ont en eux la volonté de continuer, poursuit Bruno Messina. Nous le voyons bien dans les écoles participantes, nous les voyons se réinscrire d’année en année entre leurs 8 et 12 ans, ce qui leur facilite aussi la traversée des deux mondes que sont le primaire et le collège. Et puis nous assistons à de vraies vocations, chez des participants venant de milieux si éloignés de la culture qu'il nous faut même expliquer à leur entourage le sens et l'intérêt de pouvoir monter sur scène. Nous avons eu des révélations musicales et vocales, des enfants que nous avons accompagnés vers leur inscription au conservatoire, pour poursuivre cette initiation de très haut niveau que nous leur avons apportée.
Cet été nous proposons Carmina Burana dans le cadre du Festival Berlioz et bien évidemment, dans l'extension du projet, nous avons proposé aux enfants qui le souhaitaient d’y participer avec nous (avec le Teatro Regio, Opéra de Turin, et des musiciens professionnels). Les extensions se font ainsi déjà. Selon les projets il peut aussi y avoir des enfants solistes : au milieu du grand chœur nous faisons des auditions pour repérer des enfants qui pourraient se détacher du groupe pour des solos. Ce n'est pas le cas pour Ernest et Célestine où Karol Beffa et Jeanne Debost traitent l'ensemble des enfants comme un personnage à part entière mais l'année dernière par exemple, une quinzaine d'enfants se sont relayés pour assumer des solos (sachant que plus il y a d'inscrits, plus nous multiplions aussi les spectacles). »