Sir Bryn Terfel, souverain d’un soir à l’Opéra de Versailles
Le concert s’ouvre par l’ouverture de Don Giovanni (rappelant que le chanteur a fait ses armes dans son pays natal de Galles dans Mozart et qu'il se révéla au public français avec ce même Don Juan, à Bastille en 1999).
Avec sa stature de commandeur, Sir Bryn Terfel fait son entrée sous des applaudissements déjà bien fournis. Mais surprise, ce n’est pas avec son rôle fétiche qu’il a choisi de débuter ce récital mais avec celui de Figaro ("Non più andrai"), autre révélation, cette fois-ci au MET.
D’emblée, la voix d’airain est puissante, vibrante, magnétique, les mimiques adressées au public et au chef d’orchestre dépeignent avec brio la moquerie ironique de la réprimande de Figaro envers le jeune Chérubin. Le personnage prend vie instantanément. Il poursuit avec Mozart en air de concert, dévoilant un tout autre aspect de son talent : l’expression est recueillie, la voix mixte, les nuances pianissimo, les sons filés, les variations d’intentions sur les mots permettant une infinité de possibilités pour décrire la douleur, la souffrance après le départ d’un être cher. Et c’est là une des constantes du chant de celui qui est surnommé "l’ogre au cœur tendre", être au plus près du texte, de sa compréhension, de ses inflexions.
Après une courte sortie, il revient portable à la main, faisant office de catalogue pour le célèbre air de Leporello qu’il affectionne particulièrement. Et cela se ressent immédiatement. Il s’amuse à multiplier les effets comiques, courtise son public avec sa voix, son charme charismatique en le faisant participer sur les injonctions « mille e tre » !
En l’espace de trois airs, il s’accapare le joyau versaillais et adapte ainsi ses choix à l’intimité du lieu tout comme avec la proximité de son public (pas de Scarpia, Méphisto ou autres personnages démoniaques mais des airs de Rossini, Haendel, Beethoven et une partie consacrée à des airs de musique traditionnelle celte pour constituer la suite du programme).
L’une des constances chez Terfel est d’aborder chaque pièce musicale à la façon d’un comédien ou d’un conteur, donnant ainsi le caractère propre à chaque personnage incarné. Il module son chant à son gré grâce à son immense technique vocale mêlée à un côté instinctif, spontané, jamais maniéré. Il se montre ainsi truculent dans l’air de la calomnie du Barbier de Séville, exagérant les effets de voix sur certains mots (voix nasale pour se moquer du pauvre calomnié / tonitruante pour les coups de canon), les contrastes et sa maîtrise du crescendo pour une lecture au second degré.
Il est émouvant dans "Ombra mai fu" interprétation très personnelle, loin des fioritures baroques, tout en retenue et délicatesse : la voix immense fait patte de velours et l’émotion est poignante.
Il est terrifiant dans Fidelio incarnant de sa voix fracassante le méchant Don Pizarro, prêt à tuer Florestan, son prisonnier. Yeux exorbités, notes sépulcrales profondes, il déploie (enfin) toute la puissance dont il est capable de son glorieux gosier jusqu’à faire frémir de peur l’auditoire. Il prend d’ailleurs un malin plaisir à faire sursauter l’une des violonistes en sortant de scène, ne pouvant résister à la tentation de jouer au « bad boy », ancré dans sa personnalité théâtrale.
Enfin, il est authentique quand il aborde les airs traditionnels évoquant son pays.
Dans son élément, il discute (en anglais) avec le public, n’hésite pas à taquiner les irlandais présents, explique les textes qu’il va interpréter, toujours avec une pointe d’humour.
Il révèle son talent de diseur, très attaché à sa culture, son pays, ses légendes. D’une voix moins vibrante, il chante avec ardeur une ballade irlandaise, une berceuse galloise (avec la si belle image de ce grand gaillard mimant le bercement d’un bébé) pour conclure avec une chanson écossaise Loch Lomond, « very, very sad » précise-t-il, ode à la nature accompagnée par un orchestre poétique. Il dévoile l’humilité d’un homme qui est né à la campagne, a grandi parmi les animaux, s’est construit à la façon d’un artisan, avec modestie, en restant toujours au service de l’expression et du sentiment, gravissant les marches une à une pour devenir le « roi gallois des barytons-basses ».
À l’intensité d’interprétation de Bryn Terfel répond l’Orchestre de l'Opéra Royal de Versailles, tout aussi investi, sous la direction de Laurent Campellone, une phalange (fondée en 2019) que le chanteur qualifie de « fantastic » et qui intervient en véritable partenaire, laissant ainsi toute la faculté au chanteur de déployer les fastes de sa voix. Seul à plusieurs reprises, l'Orchestre introduit également les différents compositeurs choisis.
La baguette précise de Laurent Campellone parvient à tirer de la phalange versaillaise l’expression attendue pour chaque pièce : andante solennel alternant avec un allegro lumineux dans l’Ouverture de Don Giovanni, caractère alerte et virevoltant de l’Ouverture du Barbier de Séville, force dramatique pour celle de Coriolan. Les tempi ne sont jamais précipités, l’orchestre respire à l’unisson, les pupitres colorés échangent avec délicatesse, laissant à plusieurs musiciens l’occasion de s’exprimer en solo, notamment dans les différentes variations de la Sarabande en ré mineur de Haendel.
Acclamé debout, Sir Bryn Terfel reçoit une longue ovation du public avant de lui offrir en bis un autre air traditionnel gallois ainsi qu’un extrait de comédie musicale, encore une autre facette de son talent, assurément immense.
Après avoir participé à la cérémonie de couronnement du nouveau Roi Charles III en Angleterre, c'est ainsi à son tour d'être couronné, à Versailles.