Pene Pati, Rodolfo de poésie dans La Bohème d’Éric Ruf au TCE
Le public se presse au Théâtre des Champs-Élysées, il faut dire que l’affiche est prometteuse et l'œuvre toujours aussi populaire. Côté mise en scène : pas de relecture “choc” (loin de la vision de Claus Guth à l’Opéra de Paris) mais une mise en image respectueuse et sobre.
Un peu conventionnelle sans doute dans son esthétique : il faut dire que si les costumes de Christian Lacroix réagissent avec grâce aux atmosphères lumineuses de Bertrand Couderc, ils ne sortent pas d’une certaine tradition. Cela étant, cette relative convention s’inscrit dans un hommage à la théâtralité de la vie de bohème qu’Éric Ruf développe dans sa mise en scène, situant notamment le premier et le dernier acte dans un théâtre glacé où Marcello peint un rideau de scène et où Mimi descend des cintres par un échafaudage.
C’est en effet le théâtre qui unit dès le début les quatre amis : c’est leur imagination qui les inspire comme artistes mais c’est aussi elle qui supplée quand la misère se fait sentir (ils se nourrissent alors -pour de rire- de pots de peinture ou s’inventent des histoires). C’est encore en manipulant les éclairages de scène que Rodolfo crée l’ambiance propice à l’amour ou bien c’est en se jouant la comédie que Marcello et Musetta se retrouvent… En somme, c’est la théâtralité qui rend la vie de bohème supportable et peut-être plus sublime. Dès lors, les murs peints, les échafaudages, la neige qui tombe, les costumes issus de la tradition… tout participe à cet univers qui affiche sa théâtralité, un peu nostalgique.
Le metteur en scène soigne particulièrement les tableaux de groupes comme chez Momus mais il parvient surtout à donner de la vie et de la fantaisie au groupe d’amis, comme au début de l’acte IV qui contraste d’autant plus avec l’arrivée de Mimi mourante. Les couples se forment sans fausse pudeur (c’est Mimi qui, la première, pose sa main sur Rodolfo, qui lui répond alors “Che gelida manina”), se prennent dans les bras avec tendresse et se déchirent en s’envoyant des casseroles à la figure (comme Musetta et Marcello). Somme toute, une mise en image touchante qui contient quelques trouvailles de jeu très appréciées.
Le premier Rodolfo, parisien, de Pene Pati était très attendu. L’instrument est clair, le timbre très séduisant résonne avec facilité, doux et rond. Sonore, le chanteur n’appuie pourtant ni sa voix ni le texte qui coule de manière fluide. Le ténor reste prudent en première partie : son air lui permet de tester son instrument. Certaines attaques sont un peu dures, le chanteur se réserve avant l’aigu mais celui-ci répond présent. La voix se libère au fil du spectacle, cependant elle reste toujours élégante, très tenue, et ne cède jamais à la course aux décibels. Cette sobriété n’est pas indifférence, loin de là : les mots sont habités, les intentions sonnent justes et sont portées par un investissement du corps entier. Le tout compose un Rodolpho rêveur, pudique et finalement très émouvant.
Il forme avec sa Mimi (Selene Zanetti) un couple touchant. La soprano dessine une couturière sans niaiserie, charnelle et indépendante. La voix est d’emblée sonore avec des aigus sûrs et brillants qui donnent une certaine autorité à son personnage. Une plénitude de timbre qui se retrouve dans le haut de la tessiture mais qui manque un peu au medium, légèrement instable et plus confidentiel. La soprano ose également des piano bienvenues mais détimbre sa voix pour les derniers instants de Mimi avec un résultat plus ou moins heureux. Il manque à l’instrument un peu de souplesse et de charme, surtout en comparaison de son partenaire.
Amina Edris campe une Musetta ravageuse : pleine d’énergie, la soprano virevolte dans sa robe orangée, joue la comédie avec bonheur mais sait aussi toucher dans la scène finale par sa sobriété. L’instrument est sonore et chaleureux, notamment dans le medium ce qui n’est pas toujours le cas pour ce type de voix, les aigus puissants mais le son se voile par moments et de petites duretés se font entendre. Elles n’enlèvent rien à une incarnation aboutie.
De son côté Alexandre Duhamel donne de la voix, avec un timbre tranchant, dessinant un Marcello au tempérament volcanique : il y manque parfois un peu de compassion. Le rôle qui regarde plutôt vers le haut de la tessiture lui correspond assez bien, et son couple avec Musetta ne manque pas de piquant.
De leur côté, Francesco Salvadori impose un Schaunard sombre et bien chantant, d’une voix pleine conduite avec élégance, quand Guilhem Worms (Colline) a pour lui un chant sonore et une belle présence. Son air « Vecchia Zimarra » fait naître l’émotion même si l’interprète est encore un peu appliqué. Les deux compères font tourner la tête à Marc Labonnette (Alcindoro/Benoît) qui joue la comédie avec art, d’une voix de baryton bien posée.
Les autres rôles : Rodolphe Briand au timbre clair (Parpignol), Arthur Cady à la voix caverneuse (Un sergent des douanes), Théo Kneppert (Un douanier) et Simon Bièche (Le vendeur ambulant) reçoivent également leur part méritée des éloges.
À la tête de l’Orchestre National de France, Lorenzo Passerini donne une lecture parfois un peu chaotique mais qui emporte l’adhésion par son énergie globale, réussissant en particulier les grandes scènes de groupe auxquelles il donne tout leur lyrisme sans aucune surcharge. Il peut compter sur les forces du chœur Unikanti, juvéniles et bien chantantes, ainsi que sur la Maîtrise des Hauts-de-Seine en grande forme.
Le public réserve un très bel accueil à ce spectacle efficace et sincère.