Poésies et chansons de la Réforme et de la Contre-Réforme aux Invalides
Bien avant que Louis XIV n’envoie ses dragons pourchasser les huguenots, la guerre opposant protestants et catholiques fut violente. La souffrance de ces conflits de foi, motivés de part et d’autre par une dévotion puissante, a inspiré poètes et musiciens, tels Agrippa d’Aubigné, Paschal de l’Estocart ou Etienne Moulinié. Le Verbe est alors une arme, fourbie par la musique. Néanmoins, ce n’est pas ici une lutte que propose l’Ensemble La Rêveuse avec son programme, mais une sorte de réunion de ces œuvres nées sous la Réforme ou la Contre-Réforme, manifestant toutes une beauté et une puissance des mots particulièrement saisissantes.
Les textes sont déclamés par le comédien Benjamin Lazar. Il soigne sa prononciation XVIIe siècle, surprenante au premier abord mais assurément musicale. Outre la prosodie rythmée comme sur du papier à musique, le comédien dégage une présence captivante, sa voix résonnant dans la grande salle Turenne des Invalides avec des intonations contrastées et très intenses. La violence des Tragiques d’Aubigné ou des Sonnets sur la mort de Jean de Sponde saisissent l’auditeur.
Le chant rythme ces temps de déclamation, complétant la puissance de ces textes par d’autres mis en musique. Les cinq chanteurs possèdent leur propre individualité, ce qui n’est souvent pas gênant pour les musiques de cette époque et encore moins pour ces chants aux riches hétérophonies, parfois de partisans comme le Psaume des batailles. L’ensemble des chanteurs crée un son très plein avec une prononciation d’époque attentive. Bien que la souffrance et la guerre soient les thématiques de ces œuvres, une once de dévotion, voire d’intimisme avec des nuances allant en-dessous du mezzo-forte, aurait sans doute été aussi à propos, ajoutant en contraste et ainsi en profondeur expressive. Les parties en homorythmie sont assez efficientes, malgré des consonnes imparfaitement prononcées ensemble surtout en fin de phrase. Les passages aux parties plus indépendantes n’ont pas l’équilibre ni la subtilité qui permettraient d’en apprécier tous les jeux d’entrée ou de réponses, mais il est loisible d'apprécier les intentions proposées notamment dans le « Où sont ces insolents dont l’horrible blasphème » du Cantique de Moïse d’Etienne Moulinié, maître de chapelle de Gaston d’Orléans.
La soprano Eugénie Lefebvre apporte son soin du texte avec un vibrato sans doute trop présent pour le style et l’équilibre avec ses collègues. Moins présente dans les graves, elle offre le velouté de ses médiums, mais ses aigus qui se veulent brillants apparaissent agressifs dans cette configuration. La voix du contre-ténor William Shelton pourrait se faire plus sonore dans les ensembles, partageant néanmoins un joli moelleux de timbre. Les phrasés et les intentions du ténor Paco Garcia sont fines, d'un timbre clair et équilibré. Le ténor-baryton Vincent Bouchot apporte son expertise du chant Renaissance, très attentif à ses collègues tout comme à son texte, soutenu d’une voix large et solide. La basse Lucas Bacro apporte également de la largesse et de la plénitude au son d’ensemble, bien que le tout pourrait gagner un rien de souplesse dans certaines phrases.
Les trois instrumentistes de l’Ensemble La Rêveuse, ses co-fondateurs Florence Bolton (viole de gambe) et Benjamin Perrot (théorbe), alliés à Emmanuel Mandrin tenant l'orgue positif sont un soutien efficace, actif sans jamais prendre le dessus, apportant l’assise et le liant nécessaires au son global.
L’ensemble des artistes est applaudi avec une ferveur à propos par un public transporté par ces textes particulièrement saisissants et représentatifs, d’une guerre fratricide.