L’Elixir d’amour, comme du petit lait à Nantes
Ce soir est une représentation pas tout à fait comme les autres. Si cet Elixir d'amour, déjà passé par Rennes et Angers, est bien rodé, le Directeur des lieux Alain Surrans n’en annonce pas moins qu’il s’agit d’une répétition générale technique, pour la désormais traditionnelle diffusion en direct qui aura lieu ce jeudi 15 juin à 20h. Une fois n’est pas coutume, ce discours n’est pas succinct : de fait, il s’agit de meubler autant que possible, le spectacle devant démarrer 10 minutes en retard pour se mettre dans les conditions du direct.
La mise en scène de David Lescot, claire comme de l’eau de roche, place l’action dans un décor (signé Alwyne de Dardel) unique : une exploitation agricole dans laquelle le labeur est dur et où la vie en communauté laisse peu de place à l’intimité. Au-delà de ce cadre, c’est surtout la direction d’acteurs, en particulier du chœur, qui fait tourner les têtes : un jeu muet se développe autour des protagonistes durant tout le spectacle, racontant avec précision, humour et inventivité de multiples histoires dans l’histoire.
Si elle était un élixir, Maria Grazia Schiavo, qui interprète Adina, serait sans doute un kir, bien chargé en crème de cassis. Sa voix très lyrique n’a certes pas les bulles du champagne, mais elle dispose du sucre capiteux dans son timbre rougi et d’une rondeur prononcée dans le vibrato. Comme dans un bon vin, sa robe aussi se fait remarquer.
Comme un poisson dans l’eau en Nemo(rino), Giulio Pelligra serait une bière brune, couleur acajou, servie dans une chope volumineuse. En effet, sa voix dense jamais émoussée dispose de couleurs sombres. Maladroit dans son interprétation de la candeur (à cause de la pression, peut-être), il se montre en revanche ébouriffant dès que son personnage gagne en ivresse. C’est finalement dans une fervente délicatesse qu’il verse une furtive larme (qui n'est pas d’alcool).
Marc Scoffoni tire largement son épingle du jeu en Belcore, tel un café gourmand, au breuvage noir et concentré comme son timbre brillant, mais accompagné d’une jubilatoire farandole de sucreries théâtrales. Son côté militaire pince-sans-rire, macho et sûr de lui est l’un des principaux ressorts comiques du spectacle.
Sans conteste, le Dulcamara de Giorgio Caoduro serait un Cola, cette boisson jadis vendue en pharmacie mais dont les bénéfices médicinaux restent à prouver : il y aurait d’ailleurs parait-il sept sucres dans une canette de son jeu théâtral aux bulles vigoureuses. Son volume vocal n’a de toute évidence fait aucun régime. La caféine lui offre l'agile dynamisme requis pour débiter son texte à toute allure, avec une scansion précise.
Marie-Bénédicte Souquet en Giannetta est un whisky fort, dont on ne prend que quelques gorgées mais dont on apprécie le timbre de malt. Elle distille un vibrato voluptueux mais laisse parfois sa voix se relâcher, ce qui déstabilise sa ligne vocale.
Chloé Dufresne, qui dirige l’Orchestre National de Bretagne dont le son est vigoureux, tient ici la place de la boisson énergisante tout juste sortie du réfrigérateur. Le public apprécie en effet sa fraicheur et sa vitalité : ses grands gestes amples allient précision (elle semble parfois lancer des fléchettes lorsqu’elle marque les attaques) et expressivité. Parce qu’un bon verre doit se partager, le Chœur de chambre Mélisme(s) est convié à la fête. Il fait honneur à ses hôtes en se montrant aussi précis et homogène musicalement qu’impliqué scéniquement.
En ce soir de répétition générale et pour tout faire dans les conditions du direct, les solistes et la cheffe sont invités à aller saluer la place Graslin, où un écran géant sera disposé ce jeudi, après avoir recueilli les applaudissements enthousiastes du public en salle. C’est donc devant une foule en délire de douze badauds amusés (et qui jouent le jeu) qu’ils viennent achever cette soirée. En attendant le direct de jeudi, qui sera d'une autre limonade.