King Arthur à Versailles : si Purcell en rit, nous aussi !
Il est certaines soirées où l’on ne regrette pas d’être sorti de chez soi. C’était le cas en ce jeudi de Première du King Arthur de Henry Purcell, mis en scène Corinne et Gilles Benizio (alias Shirley et Dino). Durant les deux heures de spectacle, centrées sur les passages musicaux du semi-opéra (qui contient à l’origine également de nombreux passages parlés), pas une minute ne se passe sans que les facéties du duo comique ne décrochent au moins un sourire, et parfois même de véritables éclats, au sein du public. Dans un style presque plus proche de celui de la troupe des Robins des bois que de celui de leurs propres spectacles, ils enchaînent les gags bons enfants, souvent bêtes (mais drôles), jamais vulgaires.
King Arthur par Shirley et Dino (© Nicola Bergé)
Pour l’occasion, Gilles Benizio donne de sa personne en incarnant un régisseur gaffeur désopilant, qui se cache derrière une plante pour finir d’installer le décor, casse un vase, interrompt un air en nettoyant le plateau avec un souffleur à feuilles mortes, ou interprète Mexico sans faire de bruit (pour meubler sans gêner tandis que l’orchestre -clavecin compris-, se réaccorde !). C’est lui aussi qui tient le barbecue lors du banquet final, les odeurs de grillade chatouillant alors le nez des spectateurs.
Si cet humour potache atteint sa cible, c’est aussi qu’il dispose d’un allié de choix en la personne d’Hervé Niquet, directeur musical de la soirée et instigateur de la production, qui associe à sa rigueur musicale habituelle une rare capacité d’autodérision. De son air pince-sans-rire, il interagit avec le public, avec la scène et avec son orchestre et son chœur du Concert Spirituel, qui se prêtent volontiers au jeu. Rien que pour ses interventions chantées, la production mérite de l’attention. Car le chef pousse par deux fois la chansonnette, interprétant un extrait de l’opérette L’Auberge du Cheval Blanc de Benatzky (On a le béguin pour Célestin), puis… un air tyrolien accompagné de sa danse !
On a le béguin pour Célestin (extrait de L’Auberge du Cheval Blanc de Benatzky) :
Si l’orchestre participe à cette folle interprétation par ses interventions comiques (les musiciens se couvrent d’habits d’hivers lors de la scène du froid ou partagent une bouteille de vin pendant que Niquet s’adresse au public) ou ses performances techniques (il joue dans un noir complet pendant une feinte panne de courant), le chœur n’est pas en reste. Enchaînant les réjouissantes gamineries, il détériore les décors, se lance dans une bataille d’eau géante, puis exécute un ballet de balais pour nettoyer l’ensemble.
La distribution aime faire rire également, et ne s’en prive pas, à l’image de la basse Joao Fernandes, dont le rôle comprend le fameux air du froid, parfaitement interprété, en tremblant de tous ses membres. Sa voix dispose de beaux graves qu’il fait vibrer à une fréquence qu’il module afin de créer un effet de nuance. Le chanteur danse, grimace et joue la comédie avec grâce, se glissant à merveille et avec élégance dans l’humour des metteurs en scène.
Joao Fernandes interprétant l'air du froid dans cette mise en scène :
Comme dans Orphée aux enfers à Nantes il y a quelques semaines (lire notre compte-rendu), Matthias Vidal prend un plaisir manifeste à tourner son personnage en dérision : en soutane et large tonsure, il court d’un pas rapide dans un mouvement pendulaire, les mains jointes et le sourire béat. À ses côtés, Marc Labonnette (dont la présence dans Trompe-la-mort à l’Opéra de Paris a été annoncée il y a peu -lire notre article) est également manifestement heureux d’être là. Les deux complices n’en oublient pas leurs gammes (même s’ils s’accordent un concours de manque de justesse dans une scène de beuverie) et laissent entendre deux voix éclatantes qui servent sans excès de beau chant la musique de Purcell. Chez les femmes, les sopranos Chantal Santon-Jeffery et Bénédicte Tauran offrent la même énergie communicative, poussant leurs disputes jalouses jusque dans les saluts, au cours desquels le public réserve un bel accueil aux protagonistes.