La Petite renarde rusée célèbre la nature à Strasbourg
La Petite renarde rusée de Janacek, véritable fable animalière, est la troisième production de Robert Carsen présentée à l’Opéra national du Rhin depuis le mois de juin : c’est un vrai hommage qui est ainsi rendu au metteur en scène canadien, dont le travail est, cette fois comme les autres, d’une grande qualité esthétique. Ici, Carsen choisit de ne présenter que des mammifères et des oiseaux : exit donc les insectes qui peuplent la première partie, mais aussi la grenouille qui conclut l’opéra (c’est ici un renardeau qui prononce le mot final, sans le bégaiement attribué par le compositeur à l’amphibien). La raison de ce choix semble se trouver dans le parti-pris esthétique consistant à ne pas masquer les animaux : les renards sont par exemple simplement caractérisés par une perruque rousse et un sweat-shirt oranges. Ainsi, distinguer un trop grand nombre d’espèces animales aurait pu devenir un vecteur de confusion.
La Petite renarde rusée par Robert Carsen (© Klara Beck)
La scénographie signée Gideon Davey est représentative du concept général de cette mise en scène : présenter l’œuvre comme un épisode du cycle de la vie. Le décor est ainsi une vaste étendue accidentée, d’abord recouverte de feuilles mortes, puis de neige et enfin de gazon : la nature est au centre du concept. La petite renarde apparaît avec ses frères, ses sœurs et ses parents, est capturée, grandit puis s’échappe, se trouve un renard (l’occasion d’une scène de copulation de groupe chorégraphiée, diversement appréciée dans le public) et donne naissance à une nouvelle tribu. Le renardeau qui conclut l’opéra (à la place de la grenouille, donc) est déjà le petit-fils de l’héroïne rousse, soit la quatrième génération de renards : un bel hommage à la vie qui continue, quoi qu'il arrive. Le choix de maintenir nus les murs du plateau, projecteurs visibles, détonne cependant dans cet objectif de mettre la nature au centre du propos.
La renarde est brillamment interprétée par une Elena Tsallagova mutine et facétieuse, et dont la voix perce l’espace, y compris lorsqu’elle chante depuis le fond de scène, laissant entendre un vibrato léger. Lorsqu’elle se personnifie dans l’acte I, apparaissant au garde-chasse comme son ancien amour, elle dégage une grâce délicate, que l’on retrouve d’ailleurs au moment de sa mort, lorsque son corps s’effondre dans la neige. Le renard, avec lequel elle se marie devant un pivert, est interprété par une Sophie Marilley méconnaissable avec son grimage. La mezzo-soprano dispose de ravissants aigus. S’il lui faut quelques mesures pour s’échauffer avant de disposer d’une puissance suffisante pour dépasser l’orchestre, elle apporte à son personnage l’énergie et l’irrévérence requises.
Elena Tsallagova et Sophie Marilley dans La petite renarde rusée (© Klara Beck)
Le Garde-chasse, de son côté, est campé par Oliver Swarg, qui dispose d'un registre central chatoyant, notamment mis en valeur dans les passages lyriques au cours desquels il adopte un ton mélancolique, revivant ses amours passées. Il projette ses graves avec autorité, effectuant des sauts de notes sans paraître y trouver de difficulté. Le contrebandier Harasta de Martin Barta dispose d’une voix parfaitement déployée et projetée, se faisant sonore, y compris depuis les coulisses. La musicalité de son phrasé est remarquable et place ses interventions parmi les plus beaux moments musicaux de la soirée. Les deux compagnons du garde-chasse, l’Instituteur et le Curé, sont interprétés par Guy de Mey et Enric Martinez-Castignani (qui chante également le rôle du Blaireau). Le premier dispose d’une voix bien posée aux accents slaves malgré son origine belge. Le second connait des difficultés de projection, notamment dans les notes graves, mais offre une composition de blaireau désopilante.
La Petite renarde rusée par Robert Carsen (© Klara Beck)
Le chef Antony Hermus dirige l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg avec une implication considérable, investissant une énergie folle dans chaque geste et chaque respiration. La musique luxuriante et expressionniste de Janacek est rendue dans toute sa finesse avec équilibre et entrain, mettant en avant ses différents pupitres, comme le piccolo figurant des oiseaux ou la harpe laissant imaginer des insectes courant entre les herbes. Le chœur de femmes de l’Opéra national du Rhin, ainsi que les enfants de la Maîtrise sont impeccables, très drôles dans leurs rôles respectifs. Si l’œuvre est relativement courte, elle n’en implique pas moins de nombreux artistes, dont la qualité est ici d’une grande homogénéité, pour un résultat qui aura émerveillé les nombreux enfants présents dans la salle en ce dimanche après-midi.