La Vieille maison de retour à Nantes, conte philosophique pour enfants ?
Marcel Landowski (1915-1999) occupa en son temps une place déterminante au sein du paysage musical français. Compositeur de plusieurs ouvrages lyriques d’envergure comme Le Fou ou Montségur, opéra créé en 1985 au Théâtre du Capitole de Toulouse sous la baguette de Michel Plasson avant d’être repris au Palais Garnier deux ans plus tard, Marcel Landowski devait cumuler par ailleurs d’importantes fonctions administratives. Son action en faveur d’une rénovation du système d’enseignement musical en France lorsqu’il occupait le poste de Directeur de la musique, de l’art lyrique et de la danse au Ministère de la Culture à partir de 1966, notamment auprès d’André Malraux, fit date. Pédagogue dans l’âme, il aimait à travailler avec et pour les jeunes. La Vieille maison, opéra en un acte d’une durée de 1h15, émane ainsi d’une commande du Festival des chœurs d’enfants de Nantes pour l’Opéra de la ville.
Créé en 1988 avec l’Orchestre des Pays de la Loire placé sous la baguette de Marc Soustrot, l’ouvrage disposait d’une distribution de premier plan (Catherine Dubosc, Jean-Philippe Lafont, Michel Sénéchal) et remporta alors un vif succès (il fit l’objet d’un enregistrement par la firme Erato), avant de sombrer dans l’oubli. La version proposée aujourd’hui par Angers Nantes Opéra alternativement sur ses deux scènes, a fait l’objet d’une habile transcription instrumentale de la part de Tommy Bourgeois et Florent Senia pour un ensemble de 11 musiciens. Outre des représentations pour un large public, plusieurs autres furent réservées au public scolaire préparé par leurs équipes pédagogiques, ce dans l’esprit d’ouverture vers la jeunesse développée en continue par Angers Nantes Opéra.
Le livret de l’ouvrage, écrit par Marcel Landowski lui-même, peut paraître cruel et sombre même, puisant aux sources les plus souterraines des récits anciens. Le jeune Marc confronté depuis sa chambre, dans une sorte de cauchemar, aux personnages de Chantelaine, le voleur accapareur et du Chapeau, le diable en vérité, va se trouver enferré dans ses mensonges successifs. Son parcours initiatique se heurte ainsi à de multiples difficultés qu’une fin en forme de happy-end ne saurait apaiser. Seule Mélusine, sorte de fée bienveillante, tentera de préserver l’enfant pour ensuite être assassinée en direct par Chantelaine.
La musique de Marcel Landowski se veut avant tout tonale et lisible. D’étranges harmonies presque inquiétantes la parcourent et soulignent avec force les différentes scènes et les ruptures de ton. Du fait de son originalité, son exécution n’apparaît pas aisée. Elle demande une écoute et une précision de chaque instant de la part du chef d’orchestre. Rémi Durupt, grand habitué du répertoire musical du XXème siècle dans toutes ses déclinaisons esthétiques, en rend les merveilles de la transparence et de la conduite de l’ensemble.
Sous sa direction, les jeunes chanteurs de la Maîtrise des Pays de la Loire (Angers) et ceux de la Maîtrise de la Perverie (Nantes), qui interviennent à plusieurs reprises depuis les loges d’avant-scène, font valoir une fraîcheur et une luminosité idéales pour cet ouvrage. De même, depuis la fosse d’orchestre et en fin de spectacle, ces qualités d’ensemble ponctuent la prestation du Chœur d’Angers Nantes Opéra dirigé par Xavier Ribes. Plusieurs membres du chœur se font aussi entendre dans les rôles sporadiques.
Le contre-ténor Théo Imart prête son physique svelte et juvénile au personnage de l’enfant Marc. Sa voix aux subtiles transparences, mais ferme et claire de timbre, ajoute à la caractérisation de cet enfant confronté pour la première fois au mal. Éric Vignau, toujours aussi habile en scène, compose un diabolique Chapeau, usant des multiples variations de sa voix de ténor aigu pour effrayer ou séduire. Philippe Ermelier pour sa part, donne de la voix et du mordant au personnage ambigu de Chantelaine. Dima Bawab apparaît sur scène sous les traits et les habits de Gelsomina du film La Strada de Federico Fellini. Son incarnation de la Fée Mélusine, toute emplie de naïveté et de sensibilité, se réfère sans conteste à Giulietta Masina, la bouleversante interprète de Gelsomina à l’écran. La voix de Dima Bawab légère et diaphane, aux vocalises aériennes, séduit aisément l’oreille et le cœur.
Éric Chevalier signe cette mise en scène de La Vieille maison, mais aussi les décors, costumes et lumières dans une recherche permanente de cohérence. Depuis la chambre d’enfant de Marc, avec son grand lit douillet, son théâtre de marionnettes, ses cubes géants, il déplace l’action et l’intrigue vers d’autres espaces comme la rue ou le tribunal devant lequel Marc réitère ses mensonges. Quelques projections poétiques, comme des cartes postales amoureuses des années 1900, ou plus franches et douloureuses, accompagnent les déplacements des personnages et les soulignent.
La Vieille maison s’éloigne donc d’un autre opéra pour enfants souvent représenté, L'Enfant et les Sortilèges de Ravel et Colette, plus proche du merveilleux et du sourire, du pardon des animaux envers l’enfant. Ici, le ton est bien plus grave, plus pessimiste aussi, avec des ressorts presque psychanalytiques. Pour autant, le public nantais et les enfants présents, remarquablement sages durant toute la représentation, font un accueil enthousiaste à ce spectacle somme toute exigeant.