Cendrillon à l’Opéra de Limoges, délice au pays des merveilles
Trois ans d’attente n’auront donc
pas estompé la magie. Initialement programmée au
premier trimestre de l’année 2020, mais finalement annulée face à la pandémie, Cendrillon co-produite par Angers Nantes Opéra et Limoges arrive enfin dans la capitale limousine. La mise
en scène signée Ezio Toffolutti ne lésine pas sur les moyens pour
donner dans le merveilleux sans user d’une excessive extravagance. Chaque
couleur, chaque pan de mur, chaque costume entend ici faire sens et contribuer
à dépeindre un univers pluriel, ici burlesque pour faire rire, là merveilleux
pour fasciner, avec entre tout cela une touche de misère qui forme ce plafond de verre (ou plutôt de vair)
dont Cendrillon finira par s’affranchir. Ainsi les costumes (également signés
Ezio Toffolutti) voient-ils les robes à tutus affriolants côtoyer des vestes de
soldats de la Première guerre et des redingotes de style Empire. Dans des
scènes de bal où s’invitent également des clowns blancs façon Pierrot, les
filles de la comtesse portent des robes dépourvues de tissu, une manière
autant de renforcer leur côté burlesque que de leur permettre de montrer leurs
dessous afin de mieux affrioler le prince à renfort de poilantes
courbettes, le tout sous les ordres militaires d’une mère n’ayant de général
qu’un autoritarisme finalement bien risible. Les styles et conditions sociales s’entremêlent ainsi en un féerique tourbillon.
Derrière une paroi blanche où est peinte une ligne qui forme comme un horizon (celui que Cendrillon pense ne jamais pouvoir atteindre ?), prennent ainsi place une cheminée géante, des colonnades et des murs amovibles dont les déplacements offrent tantôt de renfermer les cloisons de la maison sur Cendrillon (la rendant d’autant plus prisonnière de son triste sort) que d’ouvrir la scène aux danses de bal ou à cette brumeuse forêt d’où émerge le chêne des fées. Apparition rendue d’ailleurs d’autant plus "merveilleuse" qu’elle se trouve servie par les lumières d’Ezio Toffolutti également, lesquelles oscillent entre couleurs vives et teintes bien plus sombres selon qu’il s’agisse d’évoquer le désarroi, la complainte ou la fête, et finalement le triomphe de l’amour, parce qu’en ce féerique royaume « tout finit bien ».
Cendrillon trouve chaussure à son pied
Idem du côté du plateau vocal dont les artistes se distinguent par une évidente complicité, mais aussi par l’homogénéité. Le rôle-titre revient à Hélène Carpentier dont le soprano s’épanouit avec ampleur, dans un soin constant porté à la qualité de la ligne de chant, et une justesse pour faire siens les émois traversant le personnage. L’impeccable prosodie sert la restitution d’un fragile "petit grillon" condamné à un triste sort. Dans une approche bien plus fougueuse et tourmentée, son « Enfin, je suis ici » voit des notes qui bondissent et des aigus aussi hardis qu'entend alors l’être cette Cendrillon.

Dans le rôle travesti (comme celui d'un autre prince, Caprice qu'elle incarnait encore récemment), Héloïse Mas fait d’abord de son personnage un enfant bravache avant d’être subjugué par la beauté de Cendrillon. Le vertige de l’amour est servi par un mezzo à la rondeur de velours et à l’émission assurée d'un bout à l’autre de la tessiture, et cette manière de prolonger chaque phrase jusqu’à expiration d’un souffle évanescent.
Marie-Eve Munger est une magnétique fée qui brille à tous les sens du terme : son visage et son corps tout entiers sont parés d’or, sa voix est d'une vigueur sonore abordant chacun des registres avec assurance et souplesse, ouvrant à des vocalises ondulées. Et cette fée qui fait autorité, en vient même à piquer la place du chef d’orchestre, à la fin de l’ouvrage, pour mener les musiciens à la baguette... magique évidemment.
À rebours de ce personnage éminemment sympathique, Julie Pasturaud campe une Madame de la Haltière qui fait tout pour se rendre peu aimable, jouant d’un despotisme si forcé qu’il finit par être désopilant, et d’une hypocrisie qui prête tout autant à rire au moment de dire son amour à Cendrillon (parce qu’elle vient d’être choisie par le prince). De ce personnage tout en momerie, la mezzo-française endosse les habits avec investissement, tant scéniquement que vocalement, avec une voix charnue et creusée à la puissante projection, qui sait jouer de la comédie autant que d’un sens affirmé de la mélodie.
Ses espiègles filles Noémie et Dorothée sont jouées respectivement par Caroline Jestaedt et Ambroisine Bré, la première se distinguant par la fraîcheur folâtre de son timbre, et la seconde par un mezzo aussi musical que délicatement ouaté. Enfin, dans cet environnement très féminin, Matthieu Lécroart est un Pandolphe plein de verve, théâtrale d’abord puis toujours plus lyrique à mesure que défilent les scènes et que le dépit de ce mari malmené se mue en colère. A l’acte III, quand enfin le personnage parvient à se faire respecter de sa cruelle épouse, la voix de baryton-basse se fait plus épanouie que jamais, et plus creusée aussi, avec des notes qui, d’une extrémité à l’autre de l’échelle des nuances, viennent tant décrire une colère trop longtemps retenue qu’une infinie tendresse paternelle. Ce duo entre Cendrillon et son père est d’ailleurs, sans nul doute, l’un des moments les plus touchants d’un spectacle où se dévoile alors tout le lyrisme de la partition.
La partition, justement, est conduite par la baguette non pas magique mais en tout cas savante de Robert Tuohy, de retour sur cette estrade limougeaude qui fut la sienne à temps plein durant près de dix ans, jusqu’à son départ l’an passé. Le chef irlando-américain est donc ici comme chez lui, et cela se ressent nettement tant, de chaque pupitre, est extraite une matière musicale fervente et passionnée, avec des dialogues souvent savoureux entre cordes suaves, percussions triomphales et bois séraphiques. Accompagnant les chorégraphies d’Ambra Senatore, réglées au millimètre, comme si l’idée était aussi de « robotiser » les danseurs pour ajouter au merveilleux, les scènes de ballet sont interprétées avec tout l’élan et la moelle sonore attendus. Le Choeur se met au diapason de cette féerie ambiante qui récolte des applaudissements nourris, émanant notamment des nombreux scolaires présents dans la salle, ravis d’avoir pu découvrir une œuvre qui, en matière de musique comme de théâtre, est savourée tel un délice au pays des merveilles.
