Henry VIII, Barbe Bleue de Gris à La Monnaie de Bruxelles
Injustement méconnu du public, cet opus musical met à l’honneur le personnage tyrannique qui a également réinspiré le conte de Barbe Bleue. Réputé pour ses amours multiples, sa guerre contre le Pape et son divorce mémorable, Henry VIII est porté ici par la mise en scène perfectionniste d’Olivier Py et tenu par la baguette du directeur musical Alain Altinoglu.
L’homme qui aimait trop les femmes
Le Covid avait également perturbé en 2021 le centenaire de la disparition de Camille Saint-Saëns et la présentation d’Henry VIII au public belge. La production (re)vient ici avec un casting certes modifié mais toujours à la pointe.
Après la défense de l’autorité féminine dans Bastarda, Henry VIII dessine un personnage complexe avec une étonnante universalité pour de tels méfaits. Rapports de pouvoir, passion, jalousie et renonciation, l’intrigue est à l’image des troubles d’un monarque dont la tragédie résonne également avec notre temps et celui de Camille Saint-Saëns (et même avec la vie de ce compositeur qui ne put se résoudre au divorce, même séparé de son épouse : expliquant sans doute aussi une certaine compassion perceptible ici avec ce protagoniste).
Grand nom de la mise en scène de l’opéra français, Olivier Py (qui vient de prendre la tête du Châtelet) propose une lecture reliant les périodes, dressant des parallèles dramatiques entre les époques. Les décors et costumes de Pierre-André Weitz témoignent de cet anachronisme, dessinant un monde baroque sombre et austère qui voit les hauts de forme, robes à corsets et plastrons s’agiter entre appareils photographiques, pistolets (et même un train).
La mise en scène mouvante et sombre, offre l’image d’un Paris baroque et haussmannien, en pleine reconfiguration. Les bâtisses noires tournent sur elles-mêmes et virevoltent en une géométrie-puzzle à dimension psychologique, tout aussi variante que les amours du roi.
« Il est difficile de ne pas voir en Henry VIII une œuvre posant la question suivante : Sur quelles bases morales doit se fonder cette nouvelle société ? » Olivier Py
La partition de Saint-Saëns trouve en la direction musicale d’Alain Altinoglu une brillance particulière. Le chef en rend la richesse à travers un alliage d’élégance et de pudeur dans toute sa dimension mélodieuse et ses arias mémorables, tout en soulignant son amour de la musique baroque britannique, à laquelle Saint-Saëns fait quelques clins d'œil. Les chœurs, sous la direction de Stefano Visconti, servent l’écriture musicale et scénique. Entourant le huis-clos de Cour, les voix masculines sont tenues avec une force politique, tandis que les voix féminines sont claires et limpides, apportant luminosité à l’ensemble.
Le casting des solistes, très masculin, est relativement homogène, avec un franc-parlé à la musicalité et prosodie françaises intelligibles, en phase avec les émotions des personnages (même si la distribution est l’occasion de multiplier les prises de rôles, pour cet opus si rarement présenté au public).
Lionel Lhote incarne le roi Henry VIII avec une force autoritaire, puissante mais aussi pudique dans la fragilité et la solitude, que sa voix lente et profonde vient cerner, complexe. Tenu en retrait avec une certaine pudeur, le chanteur figure un personnage tiraillé entre esprit et passion, servi par une voix liant les registres. Le public ovationne son élégance de jeu, qui acquiert à la cause du personnage.
Plus piqué et vibrant, Ed Lyon tient une voix claire et très précise au service du rôle de Don Gomez de Féria (ambassadeur d'Espagne). Le ténor britannique dessine une prosodie française roulée et subtile, en développant le tragique au fil de l’opus.
Vincent Le Texier (ovationné) incarne le Cardinal Campeggio, autoritaire et abyssal. La puissance religieuse se faisant vocalement caverneuse, les vibrations de la basse résonnent avec la puissance céleste divine, d'une forme constante.
En Catherine d’Aragon (seule figure habillée en tenue historique), Marie-Adeline Henry offre une performance très puissante, tenant des aigus qui couvrent orchestre et chœurs. Basculant progressivement dans une torpeur palpable, elle tient un vibrato serré et pourtant ample et riche.
Plus piquée et précise, Nora Gubisch s’impose en Anne Boleyn ambitieuse et tyrannique à la mesure du monarque qu’elle courtise. Brillante par son jeu, la mezzo-soprano propose un basculement dans le tragique maitrisé avec pudeur et facilité vocale, dans la versatilité des notes à la mesure du sentiment.
Plus discrète dans la distribution, Claire Antoine dessine Lady Clarence d'une voix noble et tenue de soprano, austère, claire mais cuivrée. Werner Van Mechelen, au service du Duc de Norfolk tient une voix vibrante aux graves ronds et profonds. Ferme, appuyé, le baryton suit Lionel Lhote par une certaine autorité vocale.
Formé à l’Opéra de Paris, Jérôme Varnier campe l’autorité papale de Cranmer (archevêque de Cantorbéry) avec la tenue de sa basse, d’une ligne droite et directe, plus modelée dans les aigus.
Le ténor Enguerrand de Hys offre au Comte de Surrey sa ligne claire et fine, tandis qu’Alexander Marev (également ténor) tient les doubles rôles de Garter et d’un officier avec une vivacité directe. Au service de la cour en tant qu’huissier, Leander Carlier propose un grave très ouvert et puissant, rivalisant (presque) avec celui de Vincent Le Texier.
Après avoir présenté, avec Les Huguenots de Meyerbeer, une autre histoire de protestants (avec déjà la patte reconnaissable d’Olivier Py et de son habituel collaborateur scénographe Pierre-André Weitz), La Monnaie conclut avec Henri VIII sa série des Tudors : jeu de trône et de passions, sous les ovations du public.