Passions et Tempêtes, Julia Lezhneva et Carlo Vistoli au TCE
Construite autour de Händel, Porpora, Vivaldi et Graun, la soirée fait la part belle à la virtuosité propre à ce beau chant baroque où l’interprète doit montrer sa suprématie technique et expressive.
Entrée sur scène dans une robe blanche et brillante, Julia Lezhneva est prête à affronter un programme redoutable qui s’ouvre par les périlleuses vocalises de "Come Nave in mezzo all’onde" (Siface, Porpora). La soprano a pour elle une voix chaude, ronde, à la fois cuivrée dans le medium et presque blanche quand elle s’allège. La projection n’est pas torrentielle mais le timbre brille suffisamment pour être audible sur toute la tessiture. Dès son premier air, les longues vocalises semées de grands intervalles comme autant de pièges sont chantées crânement, un petit sourire aux lèvres comme pour assumer avec élégance le côté “show off” (démonstratif) de ces airs de bravoure. La chanteuse assume la virtuosité jusqu’à ses limites "Un pensiero nemico di pace" (Il trionfo del tempo e del disinganno) est pris à toute allure quitte à ce que la ligne de chant se perde un peu.
Pourtant le charme opère visiblement davantage sur l’auditoire dans les pièces plus calmes où elle peut montrer sa musicalité, à la fois expressive et sereine : comme dans la très longue (et néanmoins habitée) cadence qui conclut "Senza di te" (Coriolano, Graun) ou bien encore dans le poétique "Zeffiretti che sussurate" (Ercole sul Termodonte, Vivaldi) où la voix plane avec grâce au-dessus de l’orchestre.
À ses côtés, Carlo Vistoli paraît d’abord moins à l’aise, se balançant d’un pied à l’autre : "Mi lusinga il dolce affetto" (Alcina, Händel) le trouve concentré sur le chant. La voix est sonore dans le haut medium, la technique solide qui lui permet d’oser des nuances, les vocalises et autres trilles sont affrontés avec panache. Le medium et le grave s’effacent cependant par moments, comme dans "Tu spietato non farai" (Ifigenia in Aulide, Porpora) où certaines parties des phrases disparaissent dans la masse orchestrale des Accents. Le chanteur est néanmoins animé de belles intentions musicales avec des reprises particulièrement ornées comme dans “Venti, turbini” (Rinaldo, Händel). Il trouve ses marques au fil du concert, terminant par un “Alto Giove” (Polifemo, Porpora) plus homogène et habité. Les voix des deux chanteurs se mêlent enfin avec aisance au cours de leurs duos, se répondant avec complicité malgré la partition qui les sépare du public.
De son côté, Thibault Noally anime les forces de son ensemble Les Accents depuis son violon, insufflant vigueur et expressivité tout au long du concert, quitte à parfois jouer un peu fort. Les tempi sont rapides comme pour éprouver la virtuosité des instrumentistes (violoncelle, basson…) et des chanteurs (les deux étant souvent en rivalité) mettant en avant la théâtralité exacerbée des partitions. Le violoniste se fait aussi soliste pour une sonate de Händel et un concerto de Vivaldi, faisant preuve d’une belle vélocité et d’un vrai sens des contrastes.
Julia Lezhneva conclut le concert par un “Mi paventi il figlio indegno” (Britannico, Graun) ébouriffant dans ses vocalises interminables mais où les aigus sonnent moins faciles. Peu importe, le public applaudit très chaleureusement le concert et sera récompensé par un bis issu de Poro, re dell’indie de Händel.