La Somnambule au beau milieu d’un rêve à l'Opéra de Massy
Après Clermont-Ferrand, Vichy, ou encore Avignon, La sonnambula de Bellini mise en scène par Francesca Lattuada fait étape à l’Opéra de Massy. Dans un décor très épuré, profitant essentiellement des lumières de Christian Dubet pour créer des atmosphères toujours particulières pour chacun des airs, le public est comme plongé dans le rêve même d’Amina.
Ce sont surtout les costumes, réalisés par Bruno Fatalot, qui proposent un monde quoique sans époque ni lieu. Si les tenues noires des artistes du chœur mélangent styles et genres, ceux des personnages principaux sont plus que caractéristiques. Lisa est ainsi comme le contraire parfait d’Amina (dont elle est la rivale pour le cœur d'Elvino) : la première, aux cheveux blancs, est vêtue d’une robe flamboyante, au dos nu mais à la traîne hérissée d’épines dorsales de dragon, autoritaire avec sa cravache toujours à la main, tandis que la seconde, aux cheveux roux, n’a qu’une simple robe blanche, quoique scintillante, voire seulement ses cheveux comme habits (à la manière de la Vénus de Botticelli, lors de sa première crise de somnambulisme).
Le procédé est similaire pour les rôles masculins, Elvino étant élégant dans son costume aux reflets cuivrés tandis que le Comte Rodolfo est franchement ridicule dans son pantalon rose, sa cuirasse et sa braguette d’or ainsi que ses épaulettes si grandes qu’elles en deviennent des ailes. La figure maternelle de Teresa est quant à elle comme auréolée par sa grande robe blanche avec sa coiffe, telle une mariée qui a toujours gardé sa beauté et sa jeunesse.
Ce sont donc les représentations d’Amina – exagérées comme dans un rêve – qui s'expriment, les interactions étant également des manifestations de ses ressentis et surtout de ses angoisses. Amina et Elvino paraissent se rapprocher pour finalement mieux s’éloigner l’un de l’autre, se déclarant leur amour séparés et pratiquement de dos (leur rupture paraissant alors peu surprenante, ou émouvante).
Les protagonistes semblent errer mais un travail de chorégraphies, imaginées par Francesca Lattuada elle-même, donne du mouvement à ces espaces relativement vides : les artistes du chœur sont particulièrement sollicités, dansant – voire sautillant – tout en chantant. La contorsionniste Lise Pauton est comme un double d’Amina, son corps étant victime malgré lui des forces invisibles du somnambulisme (et du destin).
Dans un écart particulier par rapport au livret, Elvino n'arrache pas ici la bague de fiançailles d’Amina, mais une perruque : symbole d’une femme humiliée, dont la fragilité est subitement visible de tous, entraîne une réaction forte du public (qui dans ces cas d'incompréhension se manifeste aussi par quelques rires).
Le rôle principal d’Amina est incarné par la soprano Daniela Cappiello. Son timbre léger reste toujours bien présent, offrant des nuances particulièrement douces. Cherchant une grande finesse d’émission, quelques rares débuts de phrases semblent à la limite de ne pas sortir, mais le font pourtant d'autant, plus tendrement. Elle fait entendre des aigus aériens et virtuoses qui, grâce également à la sensibilité de son interprétation, lui valent de beaux applaudissements.
Elvino, amant jaloux et blessé, aussi attachant que repoussant pour son attitude envers l'héroïne innocente, est interprété par le ténor Marco Ciaponi. Il montre immédiatement un joli timbre, clair et vaillant sans vibrato, sauf à des moments très choisis et avec parcimonie. Toutefois, il étonne d’abord par une conduite des phrasés cachant avec peine une attention extrême envers son rythme et la direction du chef d’orchestre. Il faut attendre le deuxième acte pour qu’il déploie la liberté de son intensité dramatique, avec des aigus particulièrement lumineux et de longues tenues, recueillant chaleureux bravi.
La terrible Lisa est dotée des yeux perçants de Francesca Pia Vitale. Interprétant avec aisance un texte bien prononcé, son timbre se fait d’abord un rien acide mais gagne rapidement en rondeur et en fraîcheur, rayonnante alors de charme avec une once de malice dans l’agilité de ses vocalises. La mère adoptive d’Amina, Teresa, semble avoir gardé toute sa jeunesse notamment grâce au mezzo-soprano d'Isabel de Paoli qui l’incarne, à la voix très agréablement ronde et maternelle. Le comte Rodolfo, malgré son accoutrement, gagne cependant la noblesse du timbre profond d'Alexey Birkus. Le jeune villageois Alessio est chanté par Gianni Giuga, au timbre chaud, légèrement sombre, et bien présent.
Le Coro Lirico Siciliano montre son homogénéité travaillée, grâce à la préparation de Francesco Costa, malgré les mouvements chorégraphiques et les différents positionnements qui lui font occuper tout ou partie de la scène. Les effets de masse des villageois, comme leurs passages plus doux, sont particulièrement appréciables et participent grandement à l’animation de la mise en scène. La direction de Federico Santi ne parvient toutefois à le synchroniser avec l’orchestre qu'en lui accordant une attention pleine et entière. Le chant est pourtant soutenu par l’Orchestre de l’Opéra de Massy, assez dynamique et portant avec efficience les passages les plus enlevés. Il est également capable d’un équilibre très soigné dont Federico Santi est le rigoureux garant.
Tandis que quelques huées et des applaudissements accueillent les saluts de la metteuse en scène, les chaleureux applaudissements et les bravi enthousiastes récompensent la virtuosité des interprètes.