Le Couronnement de Poppée à La Cité musicale de Metz
Après L’Orfeo en 2020 et Il ritorno d’Ulisse in patria en 2021, il s’agit avec cette présentation du Couronnement de Poppée du troisième opéra -conservé- de Monteverdi, donné au concert à l’Arsenal de Metz par Emiliano Gonzalez Toro et son ensemble musical I Gemelli. La recette et l’équipe sont peu ou prou les mêmes, et une fois encore le projet remporte l’adhésion même en l'absence de mise en scène. Sobrement mis en espace par la chanteuse et actrice Mathilde Étienne, elle-même interprète des personnages de Damigella et de Fortuna, les chanteurs évoluent sur la scène dans une économie de moyens – aucun décor, à peine quelques costumes – qui permet de mettre en avant l’essentiel : l’érotisme des scènes d’amour entre Néron et Poppée, la duplicité des personnages, le regard un rien ironique porté sur la pompe de Sénèque et sur les souffrances d’Octavie, la gouaille et l’insolence pleines de fraicheur de la valetaille. Il suffit de quelques gestes, attitudes et regards pour suggérer tous les ressorts d’une théâtralité qui à aucun moment n’est prise en défaut, et dont les rouages sont habilement montrés et soulignés (même si le spectateur pourra regretter l’absence de surtitres, luxe devenu habituel, et le fait que le texte ne soit accessible que par téléchargement sur son smartphone à partir d’un QR code).
Chantant leurs rôles par cœur, les solistes lyriques sont tous très investis sur le plan de la théâtralité, sans point faible dans la distribution même si, forcément, certains rôles principaux se détachent. Parmi les rôles dits secondaires, la noble Vénus de la mezzo-soprano Pauline Sabatier donne force et présence à son personnage de dea ex machina avec des couleurs vocales cuivrées. Mathilde Étienne déploie la fluidité et la vivacité davantage de son jeu scénique que par sa voix, mais elle sait, avec des moyens vocaux relativement modestes, donner corps et vie à son texte et à ses personnages. Natalie Pérez, dans le double rôle d'Amore et de Valetto, fait valoir un chant frais et claironnant, moins sensuel cependant que l’instrument clair et capiteux dont dispose la soprano Lauranne Oliva, qui permet à la jeune chanteuse de composer avec bonheur, en Drusilla, un personnage d’amoureuse et de séductrice. Alix Le Saux en Ottavia affiche quant à elle une profonde voix de mezzo, dotée d’un impressionnant registre aigu, qui lui permet d’incarner toutes les ambiguïtés de son personnage : une noble victime, certes, mais également une redoutable intrigante capable d’orchestrer l’assassinat de sa rivale. Cette dernière est incarnée par Mari Eriksmoen, ensorcelante, à l’instrument délicieusement argenté, plutôt léger pour le rôle de Poppea, mais capable de mille nuances dans l’expression du charme et de la sensualité.
Globalement, le plateau masculin l’emporte sur les voix féminines, malgré le timbre nasillard du contreténor polonais Kacper Szelążek, pourtant capable d’exprimer les affres et les douleurs d’Ottone, personnage perdu dans ses dilemmes amoureux et ses conflits d’intérêt. L'auditoire aurait sans doute aimé entendre davantage la basse Eugenio Di Lieto (Littore), avec son instrument vibrant et sonore dans ses différentes interventions, légèrement en retrait cependant par rapport à la voix chaude et profonde, constamment conduite, dont dispose en Sénèque le chanteur Nicolas Brooymans. Riche en notes graves, parfaitement timbrée sur l’ensemble de la tessiture, la voix déploie un legato profond et crémeux qui donne au personnage toute la dignité qui lui sied. Dans le registre comique, difficile de savoir s’il faut donner la préférence à l’impayable Arnalta du ténor Mathias Vidal, interprétée avec toute la science vocale dont est capable cet artiste spécialisé, ou à la Nourrice d’Anders Dahlin, acteur investi dont la généreuse voix de haute-contre à la française possède à la fois précision, projection et puissance. La prestation la plus impressionnante revient sans doute au contreténor australo-norvégien David Hansen (en Néron), même s'il met quelque temps à homogénéiser ses registres vocaux. Son grave chaud et capiteux est en effet complété par une quinte aiguë retentissante, dont le chanteur use à bon escient pour créer un personnage quasiment hystérique, constamment au bord du gouffre et de la faille. Le duo final, tout en mezza voce, n’en constitue pas moins un des grands moments de la soirée.
Dirigeant discrètement ses musiciens, davantage par le regard que par la gestuelle, Emiliano Gonzalez Toro interprète également divers rôles de ténor de la partition, dont Lucano et un des deux soldats du premier acte. La beauté solaire du timbre, la précision presque mécanique de la vocalise et la justesse de la caractérisation rendent précieuses toutes ses interventions.
L’Ensemble I Gemelli, avec son effectif relativement réduit, rend à la partition de Monteverdi toute la transparence qui lui convient, en un moment musical salué par un public hélas plutôt clairsemé mais conquis par la grande qualité de l'interprétation.