Nouvel embarquement, nouvel accueil pour La Bohème spatiale à Bastille
Rodolfo et ses compagnons sont à nouveau coincés dans un vaisseau spatial et se remémorent le passé avec mélancolie avant de mourir. De cette réminiscence naissent tous les autres personnages, dont Mimi, venant peupler les tableaux de plus en plus anxiogènes et désolés de l'histoire. L'idée évoquant explicitement des films tels 2001, l'Odyssée de l'espace ou Solaris, ne cesse d'interroger entre le décor (d'Étienne Pluss) artificiel et certains effets d'une poésie toute mesurée (dont la présence insistante d'un maître de cérémonie, tout à la fois accessoiriste, mime lunaire et présage de mort, en la personne de Virgile Chorlet).
Le lyrisme puccinien est tiré vers une -autre- dimension onirique associée aux fantasmagories spatiales, tout en lui donnant une dimension très concrète (l'ambiance fantomatique et désolée de l'intersidéral), mais toute la souplesse empathique de l'opéra est enlevée au spectateur, qui se retrouve face à une boite à musique oubliée dans l'espace, avec une héroïne déjà disparue depuis longtemps et des protagonistes dans une galaxie lointaine, très lointaine. Mimi reste cette éternelle phtisique ingénue, Rodolfo et ses camarades des titis-parisiens éternels pique-assiettes, Musetta une coureuse éternellement entretenue et revêche... Et outre ces dimensions d'éternité, la proposition continue d'intriguer le public jusqu'à la fin qui y réagit par des applaudissements et des huées, voire des commentaires à voix haute durant le déroulement de scènes paraissant les plus incongrues (le tout sans commune mesure avec l'accueil passé).
Ailyn Pérez est une Mimi avant tout respectueuse de cette mise en scène et du rôle –fantomatique et coloré–, qui lui incombe. Si elle réinvestit sans cesse son expressivité, la voix se déploie avec prudence en ce soir de première. Le timbre est clair, bien coloré dans le médium, mais a tendance à se durcir et l'émission à se resserrer dans les notes les plus aiguës de la partition, empêchant aux moments lyriques de prendre leur élan. En résulte une ligne de chant souvent écourtée mais ronde et nuancée malgré des piani un peu trop intérieurs.
À ses côtés Joshua Guerrero est un Rodolfo très impliqué physiquement. Si son chant paraît plus confidentiel durant les premiers actes, la voix trouve son assise et finit par sonner généreusement malgré un timbre qui perd en couleur durant les moments paroxysmiques et des notes aiguës prises par en dessous, rompant alors le phrasé pourtant soigné de l'interprète.
Slávka Zámečníková fait comme lui ses débuts à l'Opéra de Paris, en apportant au personnage de Musetta son espièglerie sans surenchère avec une voix affûtée (quoique peinant parfois à trouver la justesse dans les notes les plus élevées).
Andrzej Filończyk parvient à faire exister Marcello dans une mise en scène qui le mêle aux autres comparses, et il donne à entendre un chant d'un métal gris, jamais en force et d'une musicalité à propos. Simone del Savio offre à Schaunard sa voix de bronze, lancée avec panache mais vers un forte parfois trop systématique. Gianluca Buratto (pour ses débuts maison) prête à Colline son métal profond, dont la puissance est immédiate notamment dans les notes graves, et qui se distingue par un chant très modulé, au risque de détimbrer dans son air final, qu'il chante d'une voix blanchie par le désarroi (mais permettant de colorer astucieusement en contraste les interventions nasillardes de Benoît).
Les petits rôles interchangeables dans cette mise en scène, où ils surgissent de la foule clownesque des souvenirs, participent sans peine aux fanfaronnades, avec des intentions lisibles et des voix colorées et sonores. Le Chœur de l'Opéra dirigé par Ching-Lien Wu, et bien que souvent absent de la scène, sait créer promptement une ambiance avec un son commun chaleureux dans un engagement dramatique qui frôle parfois le déséquilibre. À l'inverse, le chœur d'enfants dirigé par Gaël Darchen, rond et doux, manque parfois d'un engagement plus marqué.
La direction du chef italien Michele Mariotti, enfin, apporte à l'Orchestre maison ainsi qu'à l'ensemble une souplesse et un lyrisme sans débordements, sachant tirer le miel de la partition tout en respectant l'ambitus des voix et le rythme des déplacements scéniques au risque, parfois, d'un morcellement de la mélodie.
Le public, mitigé, applaudit chaleureusement les chanteurs et chanteuses, manifestant face à la mise en scène une perplexité qui n'a pas atterri mais sans que les manifestations de colère décollent à nouveau.