L’Académie de l’Opéra de Paris gravit L’Échelle de soie à l’Athénée
La mise en scène de Pascal Neyron vise à faire de l’opéra un terrain de jeu, comme il l’explique : terrain de jeu pour les personnages de Rossini (qui compose cette œuvre alors qu'il est encore jeune comme ces académiciens) qui s’essayent avec joie à la liberté et à l’amour (l'histoire rappelle celle du Barbier de Séville, les amants se rejoignant ici par une échelle de soie). Terrain de jeu pour les chanteurs de l’Académie aussi, qui se servent des possibilités de la scène pour nourrir leurs personnages et dépasser les contraintes techniques.
La scénographie de Caroline Ginet dessine en effet un espace qui s’ouvre sans cesse, où les personnages apparaissent et disparaissent de manière improbable (comme ce lit coulissant qui avale Dorvil ou cette échelle de soie inversée qui fait surgir les personnages du lit), un espace fait de cachettes et de miroirs pour jouer comme des enfants. Une vision intelligente où les “gags” n’effacent pas les personnages mais servent au contraire à mieux les dessiner et qui, tout en exigeant beaucoup des jeunes chanteurs, leur offre de belles occasions de trouver de l’émotion.
L’écriture de Rossini est un vrai défi pour de jeunes chanteurs qui ne peuvent pas se cacher derrière les aigus et les décibels des grands airs de concours. Vocalises, récitatifs, chant syllabique, ensembles et, bien sûr, grands airs lyriques… autant d’épreuves qu’exige la musique du maître de Pesaro, auxquelles il faut ajouter le rythme à tenir, la voix à maîtriser et la mise en scène à faire vivre. Un vrai défi technique et artistique que tous les chanteurs de cette soirée relèvent avec panache dans un spectacle bien rythmé auquel il manque encore un peu de folie en ce soir de première.
Margarita Polonskaya est au centre de la soirée et de cette première distribution, en Giulia coiffée d’abord d’une perruque gigantesque et d’une nuisette avant de revêtir un tutu jaune canari. La soprano se donne généreusement sur scène mais avec encore un peu d’application : le personnage est là, les intentions sont justes mais pas encore toutes habitées. La voix (qui aspirerait probablement à d’autres répertoires, plus lyriques encore) est au diapason : moins à l’aise dans les récits qui manquent un peu de diction que dans les longues phrases parfaitement soutenues, elle a pour elle un timbre rond, charnu, allant des graves profonds à des aigus particulièrement rayonnants. La voix prend ses repères pendant la soirée et vaut en deuxième partie de spectacle un air très poétique conclu par un aigu percutant.
De son côté, Laurence Kilsby en son amant -et mari secret- Dorvil est très à l’aise musicalement et scéniquement, faisant vivre son personnage de bout en bout avec un plaisir communicatif, plaisir qui se retrouve dans son chant, suave et soucieux des mots. La voix est de nature légère avec une projection un peu timide mais elle possède un charme immédiat, passant avec grâce en voix mixte jusqu’à des sur-aigus quasi en voix de tête.
Les premières notes d’Alejandro Baliñas Vieites en Blansac (riche promis de Giulia qui s'éprendra de sa cousine Lucilla) donnent le ton : l’instrument est sonore, avec un timbre sombre et mature qui en impose par sa richesse. Ce chant généreux et noble manque parfois d’audace dans les nuances mais la basse dessine un personnage charmeur, avec un sourire communicatif, qui s’efface encore par moments derrière la concentration du chanteur.
Yiorgo Ioannou a fort à faire en Germano, domestique indiscret et gaffeur : chant syllabique, vocalises, avalanche de texte… rien ne lui est épargné. Le baryton se montre à l’aise avec ce répertoire et se tire de l’exercice en imposant peu à peu son personnage truculent au fil de la soirée, avec une voix souple et claire qui elle aussi prend de l’assurance. Les aigus sont là, le chant est sûr et bien dans le style, tout au plus manque-t-il par moments au timbre un peu d’impact et de densité.
Marine Chagnon et Thomas Ricart ont moins à chanter ce soir mais soutiennent leurs rôles. Elle, coiffée d’une perruque démesurée et affublée d’un postérieur volumineux, campe Lucilla, cousine décapante, avec un timbre séduisant et clair au vibrato un peu serré. Lui joue le vieux barbon Dormont avec un plaisir manifeste, investissant le texte d’une voix de ténor puissante et timbrée mais qui disparaît par moments quand il veut faire des nuances.
Elizabeth Askren dirige un orchestre réduit au strict minimum (composé de musiciens de l’Orchestre-Atelier Ostinato et d’autres en résidence à l’Académie de l’Opéra) mais qu’elle anime d’un geste énergique tout en étant particulièrement attentive aux chanteurs pour qu’ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes. Peu de décalages si ce n’est au tout début de l'œuvre, mais une concentration musicale qui s’affirme peu à peu.
Le public applaudit chaleureusement un spectacle de qualité et qui, comme un bon vin (et bien plus vite encore), est appelé à gagner en intensité d’ici quelques représentations.