Nuits d’Espagne à la Sainte Chapelle de Paris
De Fauré à Falla, les deux artistes emmènent ce soir le public découvrir les diverses facettes de l’amour dans ce concert intitulé Porque existe otro querer (« parce qu’il existe un autre amour ») – une reprise du refrain de la chanson Dos gardenias du groupe cubain Buena Vista Social Club, interprété au cours de la soirée.
Le dernier week-end du Festival de la Sainte Chapelle de Paris étant consacré à l’amour, la mezzo Marina Viotti (Artiste Lyrique aux Victoires de la Musique Classique cette année) et le guitariste-arrangeur Gabriel Bianco choisissent de l’explorer sous toutes ses formes, de l’amour heureux à l’amour comme idéal perdu, de l’amour maternel à celui de « vieux amants », dont la Chanson de Brel est donnée en bis. La plupart des airs choisis ont été bien entendu arrangés pour la guitare – notamment les mélodies de Fauré – mais restent quelques airs originaux, comme Madroños de Torroba.
Le public découvre Marina Viotti vêtue d’une robe d’un rouge éclatant, une rose écarlate dans les cheveux, « à l’espagnole », dans des allures de Carmen. La voix s’impose, droite et mesurée, dès les premières notes d’Automne de Fauré, dont elle reprendra les mélodies sans un accroc. De manière générale, le chant est clair et net, mais aussi fluide et généreux, capable de s’adapter aux exigences de la musique française comme à la passion espagnole, autant vive que précise. Le timbre est riche de nuances cuivrées et ombragées, quoique la palette demeure lumineuse. Dans les deux langues, la diction est nette et particulièrement travaillée, participant à la fluidité du chant, en apparence presque aisé et spontané. La mezzo-soprano n’hésite pas à pousser dans la puissance pour appuyer le tragique de certaines chansons, comme Dos gardenias ou « Polo », la dernière des Siete canciones populares españolas de Manuel de Falla, où elle déploie une intense verve dramatique pour exprimer toute la douleur qu’elle ressent.
Mais elle sait également trouver une certaine douceur et sensualité, notamment dans Quiero, qui a été composé pour elle par son amie Inès Halimi et qui rassemble en un seul air le français et l’espagnol.
Elle forme un duo pleinement complémentaire avec Gabriel Bianco, qui l’accompagne à la guitare. Le public ressent d’emblée l’alchimie entre les deux artistes, qui partagent tous les deux ce plaisir d’interpréter. L’accompagnement est lui aussi précis, le jeu est fluide et particulièrement tonique et engagé, créatif, mais aussi plus simple avec la Gnossienne n°1 de Satie, arrangée pour la guitare, pendant laquelle le temps demeure suspendu en un instant mélancolique. Dans chaque morceau, le guitariste bondit d’une corde à l’autre avec aisance et souplesse, malgré un ou deux minuscules accrocs.
Profitant par ailleurs d’une minute où il se réaccorde, après Quiero, Marina Viotti explique que ce concert permet notamment de lancer le nouveau disque où elle et Gabriel Bianco reprennent des pièces dans le programme de ce soir – programme qui se conclut par La Chanson des vieux amants et surtout La Danza de Rossini pour « finir dans la joie », quoique ce soit « le morceau le plus casse-g*** », explique Marina Viotti en riant – et malgré tout, les voilà tous les deux qui se lancent dans ce dernier air endiablé, avec autant de pugnacité et de fraîcheur qu’au début du concert.
Le public, ravi du début à la fin de la soirée, les remercie de nombreux applaudissements chaleureux. Les lumières de la Sainte Chapelle s’éteignent enfin et dans les couleurs de la nuit, chacun s’en ressort, l’énergie de la guitare et des chants espagnols encore plein les cœurs.