Rois & Démons : Frédéric Caton à la Sainte Chapelle de Paris
L’ambiance, à la fois solennelle, imposante et intimiste des lieux se prête remarquablement à l’exercice : Frédéric Caton fait une entrée d’un pas assuré sous les voûtes obscures et les vitraux allongés de l’espace, et entame sans plus attendre les premières notes de la scène de l’église du Faust de Gounod. Le programme, tripartite, correspond par sa durée et sa cohérence aux contraintes et aspirations présentées dans le programme : produire un « moment suspendu, hors du temps, intense en émotions, dans un cadre somptueux […] au cœur de Paris » n’excédant pas 1h15 et adapté « au rythme de la vie actuelle » et aux « publics d’aujourd’hui ».
Huit arias sont ainsi proposées dans une "mise en oreille" simple mais efficace : les trois premiers morceaux autour des écrits de Goethe (Faust de Gounod, La Damnation de Faust de Berlioz et "Le Roi des Aulnes" de Loewe), les trois suivants autour de la figure des Rois ("Les Rois d’Egypte" de Poulenc, Don Carlos de Verdi et King Arthur de Purcell) et les deux derniers autour du Démon (Le Démon de Rubinstein et Mefistofele de Boito).
Frédéric Caton possède une voix cuivrée et musculeuse, séduisante par le soin apporté à la diction (en français mais aussi en allemand et en russe) ainsi qu’à l’expressivité. Le timbre, centré, conserve sa noirceur sur l’ensemble de la tessiture, colorant aussi bien les aigus que les graves sans que jamais l’effort ne soit perceptible ou ne casse l’émission. Les premières interventions sont prudentes quoique généreuses, l’artiste laissant l’instrument se chauffer au gré de son corps et de l’espace. Si l’"Air des roses" de Méphisto est un peu timide vocalement de ce fait, le comédien y pallie d’emblée avec un jeu astucieux que la chanson à boire de Poulenc révèle tout à fait : gestes à propos, grimaces expressives, le tout sans que jamais le texte ne perde de son intelligibilité ou la voix de son engagement. Le tempo rapide choisi pour le grand air de Philippe II rejette tout épanchement un peu systématique et attendu et propose une version plus nerveuse, voire colérique, de la situation et du personnage, ce que la froide autorité du visage du chanteur vient étayer. C’est avec la célèbre Cold Song de Purcell que la basse française recouvre la totalité de ses moyens vocaux, ce que les deux airs de clôture confirment : la voix étant alors émise avec une assurance proportionnelle à la détente du corps chantant, vibrante et brillante, proposant deux incarnations démoniaques tout à fait enthousiasmantes et maîtrisées, mêlant des couleurs nasales et narquoises à la noblesse naturelle du timbre.
À ses côtés, Maguelone Parigot est une pianiste attentive et généreuse, toujours souriante, sachant présenter élégamment les arias avec un touché souple et lié, à l’image de l’artiste qu’elle soutient. Si les premières notes souffrent un peu de la réverbération du lieu, l’instrumentiste parvient vite à déjouer cette contrainte, parvenant à conserver son engagement sans que le son ne perde de sa lisibilité. En face d’elle, François Rougué, jeune violoncelliste de 20 ans, mêle avec aisance et attention la noirceur mélancolique de son instrument à celui de sa collègue, proposant un jeu séduisant par la rondeur envoûtante de son timbre malgré une incarnation parfois en retrait.
Le public, venu nombreux, applaudit avec reconnaissance les artistes ainsi que l'instigatrice du festival, Fabienne Conrad qui, par trois fois, n'a pas hésité à guider l'audience en français et en anglais pour permettre "au grand public comme aux connaisseurs" de profiter au mieux de l'événement. En sortant, après une heure de concert, les vitraux sont encore illuminés par le jour déclinant.