Rennes remonte La Seine Musicale en prolongation pascale
Le miracle de la multiplication des Passions de Bach se reproduisant chaque saison à Pâques à travers les salles de concerts, ces œuvres sont si fréquentes qu'elles en rendent d'autant plus rares d'autres oratorios du Cantor de Leipzig, notamment ceux qui les suivent pourtant dans la narration liturgique en relatant, après la Passion (mort de Jésus), la Résurrection à Pâques, et l'Ascension (au ciel).
Le Banquet Céleste et le Chœur de chambre Mélisme(s) poursuivent ainsi un Passionnant parcours, de pièces plus rares, d'autant qu'ils viennent de donner la rare Brockes-Passion (de Telemann). Et ce projet voguant vers La Seine Musicale a d'autant plus une teinte de Résurrections que ce programme Bach-Pâques-Ascension avait été par eux donné en temps de Covid, à huis clos en l’église Saint-Germain de Rennes (notre compte-rendu).
La soirée commence pleinement dans la joie de ces résurrections, d'autant que les deux œuvres, similaires en de nombreux points, commencent toutes deux par des trompettes claironnantes qui auront rarement autant rappelé le Te Deum de Charpentier. Ce climat dynamique et riche est d'emblée et constamment encouragé par la direction de Damien Guillon. Tout le plateau semble animé du même ressort, presque sur un même trampoline qu'illustre le jeu rebondi du timbalier : le chef s'élance vers le ciel, comme sautent les sautereaux du clavecin et sautillent les archets des violons. Le résultat sonore déploie ainsi sa richesse, au risque de l'hétérogène : les accents des différents pupitres s'exprimant dans l'effusion loin de la fusion (et se perdent quelques fois dans des fausses notes). Côté chœur, les différences ne se sont pas au niveau des pupitres mais de chaque voix, qui exprime son caractère propre et son propre caractère, en raison surtout de leur effectif : ils sont au nombre chambriste de douze, et renforcés par les solistes qui expriment leurs propres personnalités vocales.
Les quatre solistes s'avancent toutefois pour les récitatifs, également passionnants : en des dialogues parfois même à quatre, dynamisant pleinement la narration. Pour leurs grands airs en solos, ils descendent l'estrade où le chœur est installé, comme pour mieux aller prêcher parmi le peuple (ou en tout cas plus près du public), le bruit de leurs pas le temps de ce long tour de piste accompagnant la musique.
Si les trompettes rutilent ce soir, le plateau vocal manque manifestement de souffle, ce qui limite le déploiement des phrasés et tend les appareils. La soprano Céline Scheen vise alors à compenser le manque d'unité entre un grave bas en gorge et des lancées tendues vers l'aigu, par des accents striés et un vibrato appuyé. Le contre-ténor Paul Figuier allonge la ligne mais elle se tend vers l'aigu tandis que le grave est étouffé. Très attentif à sa partition pour s'approcher des lignes et articulations demandées, il s'éloigne d'autant de l'intention du texte célébrant la joie libératoire. Le ténor Thomas Hobbs et la basse Benoît Arnould sont d'emblée contraints par un passage rapide et vocalisant mettant à l'épreuve leur articulation. Ils conservent le dynamisme de leurs accents mais le timbre durcit.
Fort heureusement, ces œuvres traitent d'un sujet joyeux mais déploient toute la palette du génie de Jean-Sébastien Bach, avec sa richesse. Des passages plus doux et mélancoliques alternent ainsi tout au long de ces pièces, qui peuvent même plonger dans des stases tout à fait poignantes. S'il suffit de changer une seule lettre pour passer de la douceur à la douleur, Bach le fait lui sans même changer une note : certains épisodes qu'ils proposent traduiraient absolument la douleur mortelle dans une passion, mais changent ici entièrement de signification, traduisant le bouleversement que procure une joie trop intense. Le chef ne dirige plus alors que de quelques gestes à peine, esquissés, d'intentions même seulement (et suffisamment).
Le ténor pince alors son timbre, le plaçant dans la douceur de l'évangéliste bénissant l'assemblée (quoique l'aigu reste tendu). La basse file des tenues expirantes. Le contre-ténor aborde des interventions plus centrales, lui permettant d'appuyer ses accents sur sa ligne vocale et réciproquement, arrondissant l'articulation vers les résonances de l'aigu (traduisant la douceur contenue), alors que la soprano monte vers des aigus plus miroitants.
La continuité de la soirée est assurée par un délicat jeu de lumières de salle, aux teintes plus ténues ou plus chaudes selon les tonalités de grandes sections.
Les artistes sont chaleureusement applaudis, le chef rappelé et le chef de chœur Gildas Pungier appelé sur scène pour recueillir sa juste part de cet enthousiaste concert. Les artistes reprennent en bis le début du second oratorio, pour que la joie demeure en chœur et dans le cœur du public.