Michael Spyres, ténor contra-tenore dans son nouvel album
Le précédent album questionnait la frontière grave entre ténor et baryton, celui-ci en fait de même pour la frontière aiguë, et il le fait de la même manière, avec une forme de flou artistique aussi. Si le choix de répertoire est bien délimité (ce nouveau projet remonte au baroque, et s'arrête donc là où le précédent album commençait), le titre du disque et le propos du livret posent une série de questions jouant sur les termes et les strates historiques. Le "contra-tenore" n'est en effet pas le "contre-ténor" d'aujourd'hui, celui qui a succédé au castrat, mais veut au contraire désigner le ténor qui, à l'époque baroque, rivalisait justement avec les castrats. Comme le rappelle le livret, ces ténors pouvaient déjà être désignés par toute une série d'appellation : ténor-basse, baritenore, contre-ténor et haute-contre, ou encore taille. Michael Spyres, continue donc son exploration de ces déclinaisons en s'intéressant ici au spectre aigu, le "contre" pouvant aussi bien définir le haute-contre à la française que le contre-ténor italien mais pas le contre-ténor à la voix de fausset.
Et finalement, c'est encore une autre voix que le chanteur vise et qu'il met en avant : celle du "tenore assoluto" dont la tessiture balaye l'ambitus allant du bariténor au contre-alto (voix grave féminine), un terme qui est depuis devenu le surnom superlatif d'Enrico Caruso, "Tenore Assoluto", rajoutant encore à la confusion.
Michael Spyres vise donc le contra-tenore-assoluto-barocco en prêtant sa voix à l’étendue spectaculaire aux rôles composés par Lully, Haendel, Rameau et plus tardivement Gluck et Mozart (et le disque fait également découvrir quelques morceaux de Johann Adolf Hasse, Baldassare Galuppi ou Gaetano Latilla, enregistrés pour la première fois).
Cet album est un hommage à l’habileté technique de l’interprète. Trilles, mordants, fioritures sont au rendez-vous, exécutés avec souplesse, d’une voix toujours projetée avec l’éclat d’un vibrato sémillant. Michael Spyres s’illustre autant dans les pyrotechnies vocales du répertoire italien que dans le raffinement sobre du grand style français. Sa prononciation est soignée dans ces deux langues. Naviguant entre les registres, il déploie tantôt un grave satiné « barytonant », voire « basso » large et profond, tantôt un aigu fulgurant. Plusieurs morceaux l’amènent dans l’extrême-aigu sur la cadence (jusqu’au contre-fa, voire au-delà). La voix s’affine sans basculer en falsetto et reste nettement timbrée.
Les musiciens de l’orchestre Il Pomo d'Oro mettent toute leur expertise du répertoire baroque au service notamment des pièces oubliées, déployant une riche palette sonore emportée par un pupitre de cordes particulièrement vif et endiablé (sans oublier les nuances données par la direction précise du chef et claveciniste Francesco Corti, qui confère à cette musique tout son caractère vivant et aérien).
De quoi, au final, se laisser emporter par la virtuosité absolue de cette musique, qui justement déborde tous les cadres, toutes les cases et appellations : en vers et contre-ténors.