La Traviata au Capitole : les voix du Cœur
C’est en rendant hommage à Pierre Rambert décédé en 2021 et à la source de cet opéra (La Dame aux camélias de Dumas fils) que s’ouvre le rideau du Théâtre du Capitole pour cette production de La Traviata, présentant une immense fleur camélia couvrant presque l’intégralité de la scène. La clarté des symboles, d’hier et d’aujourd’hui, sera le fil rouge de toute cette soirée, dès le premier acte installé dans un salon mondain, aux fauteuils et canapés de cuir blanc. L’escalier en colimaçon au centre duquel trône La Traviata et les grandes arches pour fenêtres permettent de diviser l’action et d’offrir une vue nocturne de la ville aux teintes bleu-nuit. Les couleurs sont toutes choisies pour leurs symboliques, tout comme les deux spectres en fraise, cape et tenue squelettique brillante (incarnés par deux danseurs à la présence intense) présageant déjà la conclusion funeste de l’œuvre.
La maison de campagne tout aussi spacieuse et typique ouvre l’horizon sur un ciel bleu immense, entre piscine et chaises longues à l’ombre d’un arbre et escalier de pierre : tout évoque la plénitude d’une félicité amoureuse mais le ciel s’assombrit avec l’approche du drame, qui sera d’autant plus sépulcral dans l’antichambre éclairée au candélabre d’une pourtant sublime salle de banquet mettant l’accent sur le velours rouge et les teintes noires (teintes noires mais aussi sang entrecoupées de blanc, épousées par les bohémiennes et matadors). Tout se décolore alors d’un ton livide, un spectre blême danse au dessus de la couche solitaire d’une Violetta chauve et moribonde. Un unique drap pourpre attire l’œil, comme si le sang de La Traviata s’écoulait déjà son lit. Dernier détail, autre fil rouge de l’œuvre : une poupée, symbolisant Violetta, « La pauvre fille », est placée dans chaque tableau et prend son sens final lorsque l'héroïne la donne à Alfredo en disant « garde cette image en souvenir de moi ».
Zuzana Markova incarne une Traviata charmeuse, très sensible dans son jeu. Ses voyelles sont souvent chantées large avec un vibrato assez marqué, ce qui peut nuire au texte mais ne l’empêche en rien de faire montre de sa souplesse vocale et de déployer une grande palette de nuances (n’ayant pas peur de régulièrement jouer sur des piani servant l’intention dramaturgique tout en sachant donner du forte quand l’émotion le demande). Des respirations sonores semblent parfois crispées et induire une tension physique, mais si Zuzana Markova est plus réservée au début de l’opéra (première oblige), la prima donna déploie la sincérité d’une sensibilité chargée d’émotion, partageant visiblement et audiblement une forme d’alchimie scénique et musicale avec ses collègues protagonistes.
Amitai Pati joue aussi bien l’Alfredo amoureux transi au grand sourire que le jaloux puis le désespéré. La voix est plutôt légère, stable et précise sur les voyelles et consonnes, le texte ressort impeccablement, porté par une conviction théâtrale. D’une grande finesse, il aime à jouer de piani qui peuvent paraître parfois un peu faibles par rapport à l’orchestre. Mais sachant à son tour donner de la voix quand nécessaire, il déploie avec l’intensité de sa ligne vocale, celle d’une théâtralité marquée et d’un visage très expressif en une prestation également très appréciée du public.
Amitai Pati - La Traviata par Pierre Rambert (© Mirco Magliocca) | Amitai Pati & Zuzana Markova |
Jean-François Lapointe offre au père Giorgio Germont l’alliage de la présence scénique et de la sincérité émotionnelle et musicale. Sa voix large et puissante suit la dramaturgie dans ses inflexions. Si son émission est un peu épaisse et sombre, notamment dans son premier air, ses aspects plus déclamés épousent l’action, contrastant aussi par des piani qui s’accordent aux voix plus aériennes de ses deux partenaires en binômes. Il joue d’inflexions remarquées dans son grand air, sans rien perdre de sa palette dynamique, levant des applaudissements égaux à ceux de la diva.
La voix de Cécile Galois se prête au rôle d’Annina, servante de Violetta jouant majoritairement dans une forme de déclamation. La diction est précise, à l’exception de quelques phrases plus aiguës où -couverture oblige- le texte se perd. Elle soutient néanmoins pleinement l’intensité émotionnelle de ses ensembles.
Retrouvez très prochainement notre compte-rendu de la seconde distribution, permettant d’apprécier les voix d’autres protagonistes et les secondes performances des comprimarii
Flora, courtisane amie de Violetta est incarnée par Victoire Bunel. Séduisante et sulfureuse à souhait dans sa robe dorée aux mille reflets luisants, elle joue son rôle et l'installe de sa voix claire, sonore et chaleureuse, avec sa diction précise.
Pierre-Emmanuel Roubet installe son élégance scénique en Gastone, vicomte de Letorières. Son ténor plutôt léger sert son rôle d’entremetteur, de commentateur et d’homme du monde. Jean-Luc Ballestra est un Baron Douphol à la voix bien placée, aux couleurs un peu sombres, convenant bien au caractère plutôt jaloux et vindicatif du personnage. Le Marquis d’Obigny est interprété par Guilhem Worms d’une large voix de basse, avec une présence visible notable, mais la rondeur de ses voyelles, notamment dans les médiums, peut parfois nuire à l’intelligibilité du texte.
Sulkhan Jaiani remplit méticuleusement son office de Docteur Grenvil dans sa franche simplicité : la voix est placée sur la juste intensité que l’action commande. Enfin, du côté des trois petits rôles confiés à des artistes issus des chœurs, Hun Kim en Giuseppe sert Violetta de son ténor efficace, le serviteur de Flora, Thierry Vincent, marque d’une basse tonitruant avec clarté son unique phrase dans le paysage sonore touffu de la fête, et le baryton-basse-messager Bruno Vincent a un timbre charmant.
L’Orchestre du Capitole placé sous la direction dynamique et souriante de Michele Spotti (prochain Directeur musical de l'Opéra de Marseille et qui fait ici ses débuts au Capitole, tout comme cette Violetta) rend les contrastes de la partition de Verdi, depuis la plus douce tendresse, jusqu’aux forte les plus tonitruants où cuivres et timbales font résonner leurs timbres chaleureux. Les nombreux passages pizzicati (cordes pincées) sont assurés avec une grande précision et servent la musicalité générale irréprochable, mais l’ensemble couvre parfois les piani expressifs des chanteurs.
Le Chœur du Capitole, préparé par Gabriel Bourgoin, est dans son élément avec la musique de Verdi : tout particulièrement les chœurs festifs et éclatants de La Traviata où les chanteurs peuvent s’en donner à c(h)œur joie et laisser sonner leurs larges voix sur ces mélodies aux allures populaires tout en se prêtant au jeu de la fête.
Le public du Capitole offre un accueil enchanté à ce spectacle qui épouse la dramaturgie de la pièce, tout en se démarquant par ses tableaux contrastés : un alliage qui est visiblement allé droit au cœur.