Amours et passions au féminin à la Sainte Chapelle de Paris
Introduit par l’air de Fioridiligi et Dorabella dans Così fan tutte : « Ah, guarda sorella… », le concert de ce soir propose plusieurs duos de soprano et mezzo (ainsi que quelques airs solo) réunis sous plusieurs thématiques : l’amitié, comme entre Lakmé et Mallika chez Delibes ou Cio-cio San et Suzuki chez Puccini – mais aussi la rivalité, avec Norma, Adriana Lecouvreur et même West Side Story en conclusion. Un programme varié dont Fabienne Conrad, directrice artistique du festival, explique les ressorts et en présente les airs à un public qui n'est pas toujours connaisseur, avant de laisser finalement place à la musique.
La soirée s’ouvre sur la première pièce des Bunte Blätter de Schumann, par Samuel Parent au piano. La lumière vient de s’éteindre à ce moment-là et, tandis que brillent les magnifiques vitraux de la Sainte Chapelle, les notes résonnent, claires et délicates. Le piano accompagnera les chanteuses tout au long de la soirée, suivant leur rythme avec recherche et précision, mais profitant aussi des moments purement instrumentaux en compagnie du trio de cordes frottées qui fait office d’orchestre : ainsi, avec Loan Cazal à l’alto et Gauthier Herrmann au violoncelle, il interprète la Litanei de Schubert que tous trois rendent avec à la fois douceur et intensité. Il suit également avec efficacité Hugues Borsarello au violon qui reprend, plein d’énergie, le Czardas de Monti inspiré des danses traditionnelles hongroises. L’archet court avec une telle vivacité sur les cordes qu’il emporte le public avec lui, public qui vient le rejoindre en tapant dans les mains en rythme avec lui avant de l’applaudir chaleureusement à la fin du morceau.
Après les Bunte Blätter, Fabienne Conrad et Yete Queiroz font leur entrée, toutes deux vêtues d’une robe rouge écarlate – un écho, sans doute, à la passion qui animera tous les personnages qu’elles interpréteront ce soir ensemble et, dès les premières notes de Così fan tutte, se dégage la force de l’alchimie entre elles, ce que ne démentira pas la suite de la soirée.
Yete Queiroz présente un mezzo particulièrement terrestre aux graves profonds, aux nuances riches et cuivrées, une voix plutôt lestée dont l’équilibre est difficile à trouver en début de concert, mais qui devient plus nette et plus précise au fur et à mesure des airs – cela d’autant plus que la voix est puissante, ce que démontre d’ailleurs son interprétation solo de Carmen, riche, colorée et engagée. Elle reprend ici « L’amour est enfant de Bohème », non la Habanera si connue, mais le premier air composé par Bizet avant de le modifier sur exigence de la Galli-Marié – un air que Yete Queiroz aborde avec émotion, dans un français par ailleurs parfaitement clair et bien articulé (là où l’italien était plus difficilement compréhensible au début).
Fabienne Conrad, quant à elle, démontre un soprano clair et net, une ligne finement dessinée ornée de jolis graves notamment et un timbre à la chaleur estivale. Avec faste théâtralité, elle reprend les différentes parties du programme, sacrifiant cependant parfois la technique pour l’intensité du jeu et de l’émotion à transmettre au public et vers la fin de la soirée, la voix fatigue un peu. Néanmoins, Norma dans le duo avec Aldagisa lui permet de mettre en valeur toutes les couleurs relevées de son timbre dans un chant à la fois touchant et vibrant.
En duo, les voix des deux cantatrices se marient, les jolis aigus de la soprano venant relever la base plus sombre de la mezzo et produisant un bel effet de contraste, notamment souligné dans le « Duo des fleurs » de Lakmé, qu’elles reprennent toutes deux avec brio, n’hésitant d’ailleurs pas à utiliser tout l’espace dont elles disposent – ainsi passent-elles à la fin de l’air le long des bas-côtés et terminent-elles dans le dos du public, investissant depuis le fond toute la chapelle de leurs deux chants qui se réverbèrent contre les vitraux.
En bis enfin, elles reprennent La Vie en rose, « parce qu’on est à Paris ». Les applaudissements enthousiastes d’un public entièrement conquis résonnent alors dans la chapelle et la lumière revient, marquant la fin du concert et c’est dans le souvenir de la musique, mariée aux splendeurs du lieu, que le public s’en retourne dans la nuit noire.