Ariodante en grève mais en concert ovationné à l’Opéra Garnier
Le directeur de l’Opéra national de Paris, Alexander Neef, vient sur scène présenter au public les excuses de la maison qui n’est pas en mesure de présenter Ariodante dans sa version scénique, "en raison d'un mouvement de grève national" comme communiqué deux heures avant la représentation. Certains expriment avec véhémence leur déception de ne pas découvrir la mise en scène de Robert Carsen, mais il ne s'agit pas de la plupart des spectateurs. En robe, en costume ou en tenue de ville, les chanteurs prennent ainsi possession de l’avant-scène devant le grand mur vert qui devait servir de perspective à la mise en scène en fond de plateau.
Le rôle-titre est incarné par Emily D’Angelo. Son Ariodante est un adolescent d'attendrissant émoi, en bottines noires compensées, tenue noire, cheveux coupés courts. La chanteuse semble d’abord se réserver dans le premier acte, gagnant progressivement en présence et en intensité lors de ses airs par la suite, culminant évidemment lors du fameux "Scherza infida" (amuse-toi infidèle). Sur les piannissimi de l’orchestre, son timbre rond et expressif se détache, touchant notamment par la subtilité de ses vocalises. Ses graves pénétrants et ses aigus d’une belle lumière saisissent également.
La charmante Ginevra, injustement entachée de scandale, est interprétée par Olga Kulchynska. Ses graves charnus, ses médiums tendres et ses aigus amples servent une expressivité touchante, teintée de finesse bien que manquant légèrement de relief. Même rendue scéniquement statique, son air de désespoir au "cruel martyre" la montre comme absolument abasourdie par l’incompréhensible injustice dont elle est victime, sa constance et son endurance mettant pleinement en avant ses intentions patentes portées par une langue bien soignée.
La diction de Tamara Banješević pourrait être plus incisive pour rendre le caractère de Dalinda, dame d’honneur de Ginevra mais traitresse regrettant sa vile complicité devant cette situation qui lui échappe. Mais son vibrato sait envelopper de moelleux son timbre lumineux. Ses aigus perçants et ses graves sombres participent à son interprétation furieuse.
Trompeur, menteur et orgueilleux, Polinesso est campé justement en méchant, détestable même, par le contre-ténor français Christophe Dumaux qui en déploie l'insolence superbe. Son étendue démonstrative se déploie avec un naturel déconcertant qui lui vaut d’enthousiastes bravi. S’il joue l’impertinence, son chant reste au service du texte grâce à des intentions de nuances toujours pertinentes.
Le fougueux frère d’Ariodante, Lurcanio, revêt les traits du ténor Eric Ferring, au timbre joliment rond et chaleureux, expressif sans exubérance inutile et même avec une grande finesse. Le Roi d’Écosse est interprété avec une sage autorité par le baryton-basse Matthew Brook, au timbre justement noble. Ses extrêmes graves à la peine n’empêchent pas d’apprécier sa très vibrante plainte. Son secrétaire particulier Odoardo est incarné avec présence et chaleur par le ténor Enrico Casari.
Les Chœurs de l’Opéra national de Paris semblent un peu perdus quant à leurs entrées et sorties, suite à l'abandon soudain de la mise en scène. Néanmoins, en tenue de ville et en ligne contre le mur de scène, ils font preuve d’homogénéité et d’assurance. Sous la direction d'Harry Bicket, The English Concert habitue progressivement l’auditeur à sa pâte sonore, gagnant en intensité dans une interprétation sage mais précise et extrêmement homogène. Certaines couleurs sont particulièrement subtiles dans les nuances les plus douces, les passages dansés sont élégants sans être démonstratifs.
Les applaudissements sont enthousiastes et le public se lève même lors du rappel des artistes, saluant cette soirée d’airs tous plus touchants les uns que les autres.