Carte Blanche à Charles Castronovo à l’Opéra Festival de la Sainte-Chapelle
L’américain Charles Castronovo, l’un des ténors les plus acclamés de sa génération, se faisait rare dans l’Hexagone depuis la pandémie (notamment car plusieurs de ses concerts prévus ont dû être annulés), hormis un passage au Théâtre des Champs-Elysées au printemps dernier pour la Messa de Gloria de Puccini. Le voilà de retour en France pour une soirée, en « crochet » entre le Lyric Opera de Chicago où il incarnait Don José (Carmen) et Vienne où il s’apprête à chanter avec Pretty Yende en Manon, avant le Met pour Rodolfo (La Bohème).
Ce concert parisien a lieu à l’occasion du troisième weekend de l’édition inaugurale de l’Opéra Festival à la Sainte-Chapelle de Paris, dans un récital « Carte Blanche », accompagné par la britannique Claire Habbershaw au piano et la belge Ysaline Lentze à la harpe. Le chanteur profite également de l’occasion pour dédicacer des CDs de son enregistrement de ladite Messa di Gloria (gravée au côté de Ludovic Tézier), tout juste sorti chez Harmonia Mundi.
Le programme de la soirée, assez bref, met l’accent sur le répertoire italien du tournant du XXe, bel écrin pour la voix de Castronovo. En effet, si celui-ci a commencé sa carrière en tant que ténor lyrique, sa voix a gagné en puissance et en épaisseur avec les années, si bien qu’il apparaît désormais pleinement dans son élément dans le vérisme (réalisme italien, post-romantique). L’entrée en matière se fait dans « Ô Nature » tirée du Werther de Massenet, air qui se rapproche le plus d’une œuvre religieuse avec ses paroles exaltées et vient ainsi en double clin d’œil au cadre du concert : dans ce lieu sacré au cœur de la capitale française. La suite de la soirée est résolument italienne, avec une sélection d’airs d’opéras véristes comme Iris de Mascagni ou L’Arlesiana de Cilea, ainsi que des œuvres faites pour le récital, en particulier les compositions de Paolo Tosti, dont cinq romanze (romances italiennes dont il est le célèbre représentant). Le ténor offre également un petit aperçu/rattrapage à ceux qui n’ont pas pu se rendre à Munich cet hiver pour le voir en Carlo dans I Masnadieri de Verdi au Bayerische Staatsoper, avec l’air « O mio castel paterno ».
Le ténor est en belle forme vocale, ne se ménageant pas tout au long de cette soirée où il est sur scène presque sans interruptions (hormis les présentations du programme par Fabienne Conrad, la maitresse de cérémonie et directrice artistique du Festival, ainsi que pour un solo de la harpiste).
La voix est chaleureuse, plutôt sombre pour un ténor, avec un vibrato assez présent dans l’aigu de la tessiture. L’émission est pleinement maitrisée, musclée sans que cela ne paraisse lui coûter. Si le répertoire interprété peut parfois sembler un peu « grand » au regard du cadre relativement intime de la Sainte-Chapelle, le charme opère néanmoins.
La pianiste Claire Habbershaw livre un accompagnement tout en finesse, sachant rehausser l’impétuosité des airs interprétés sans outrer la dimension percussive de son instrument. Ysaline Lentze complémente la force de la voix avec la suavité de son interprétation. Son solo est une suite sur un thème d’Eugène Onéguine par Ekaterina Walter-Kühne, peut être en allusion au fait que Castronovo soit un interprète familier du rôle de Lensky (quoique la variation fasse davantage référence au motif de l’ouverture qu’au fameux « Kuda, kuda... »).
Le grand final de la soirée est le Lamento de Federico dans L'Arlesiana de Cilea, déchirant cri de désespoir d’un amant déçu, dans lequel le ténor américain donne tous ses moyens sur le fortissimo de l’ultime « Ahimè » (« hélas »), aussitôt acclamé par une chaleureuse salve d’applaudissements du public. Il offre ensuite deux rappels, un premier avec les instrumentistes, un second dans lequel il s’accompagne lui-même à la guitare, dans une chanson traditionnelle en dialecte sicilien, hommage aux origines de son père, qui lui donne l’occasion de dévoiler une facette plus intimiste de son art.
L’année prochaine, le public français pourra le retrouver enfin dans un opéra mis en scène, puisqu’il interprètera Gabriele dans Simon Boccanegra à l’Opéra Bastille, aux côtés de Ludovic Tézier dans le rôle-titre.