Brillant Chevalier à la Rose en direct du Met
Le metteur en scène canadien Robert Carsen offre un écrin monumental empreint de sensualité au chef d'œuvre de Richard Strauss. Les décors, signés Paul Steinberg, utilisent toutes les dimensions du gigantesque plateau du Met, plongé pour la soirée dans les années 1910, une transposition temporelle en accord avec la période d'écriture de l'œuvre (traditionnellement donnée dans le cadre XVIIIème de son livret). Le premier acte dévoile les appartements de la Maréchale, où elle consomme son amour avec Octavian, dans un palais viennois tapissé de velours rouge, des pieds à la tête, en tout cas du mobilier aux murs sur lesquels sont accrochés de nombreux tableaux, donnant à la pièce l'allure d'une salle de musée. Au deuxième acte, l'impression de se balader dans un musée viennois persiste, les murs arborant alors une fresque de combat grecque immense, qui écrase les protagonistes sous une forme de violence et de froideur ambiante, à l'image de l'attitude du Baron Ochs envers sa promise, le sol passant également du bois chaleureux au carrelage froid. Au troisième acte enfin, c'est dans un lieu de débauche épousant la forme de la chambre de la Maréchale mais dont les tableaux sont autant de Vénus et de femmes alanguies que se poursuit cette "mascarade viennoise" comme le disent les personnages. Le tout tire vers la comédie, sans jamais tomber dans le ridicule ou le grotesque, car chaque geste est réfléchi et dosé comme il faut.
Doués d'une grande liberté de mouvement sur le plateau, les interprètes font preuve d'une intelligence et d'une justesse de jeu bien mise en valeur à l'écran, la captation permettant également d'apprécier de petits détails qui font la qualité d'une production, comme le petit liseré argenté orné de grecques sur les verres des convives, en écho au décor du deuxième acte. L'utilisation de l'avant-scène et du fond de scène comme un champ/contre-champ appuie la dimension cinématographique de la production, de même que la qualité des costumes début de siècle de Brigitte Reiffenstuel, aussi variés qu'élégants.
À la direction, la cheffe américaine Simone Young est en pleine cohérence théâtrale avec la proposition scénique, accentuant les tempi, en osant de nettement plus lents parfois, toujours dans une volonté de nuance et d'allant. L'Orchestre du Metropolitan Opera fait montre d'un parfait équilibre et brille dans les parties virtuoses et solistes.
Du côté des chanteurs, ils s'épanouissent tantôt scéniquement, tantôt vocalement et très souvent les deux à la fois. Le couple d'intrigants formé par Thomas Ebenstein (Valzacchi) et Katharine Goeldner (Annina) est plein de malice. Leurs tessitures se confondent en rapides paroles à l'acte I, tandis que le jeu mutin de la dernière fait mouche en solo à l'acte II. Le chanteur italien incarné par le ténor René Barbera en a tout du style et du phrasé, brillant, résonnant et triomphant dans les aigus. En Faninal, Brian Mulligan offre une composition investie, en phase avec son personnage, à la fois rigide et ridicule.
Son « presque gendre », le baron Ochs, interprété par Günther Groissböck est délicieusement insupportable. Le chanteur assure ses nombreux rendez-vous scéniques avec brio, dont les ressorts comiques, bien présents, ne sont jamais trop appuyés et rendent le personnage aussi pervers que crédible. La voix se déploie avec assurance dans tous les registres, bien que le grave le plus extrême manque de projection. La suffisance du personnage se ressent dans ses inflexions, ses nuances et il sait injecter insolence ou mépris à son instrument.
Erin Morley est une Sophie pétillante et gracieuse, dont le jeu subtil donne à voir un personnage plus complexe qu’il n’en a l’air. Ses aigus filés planent au-dessus d’une distribution à la tessiture plus grave et son timbre lumineux s’harmonise tout en se distinguant de celui d’Octavian quand celui-ci lui apporte la rose au deuxième acte. Elle est touchante de sensibilité et de pudeur dans le trio final.
En Octavian, la mezzo Samantha Hankey se montre juvénile et sincère. Elle campe un chevalier tout en retenue, mesurant ces effets et maître de lui-même, s’amusant de l’ambiguïté de son personnage lors de son travestissement en Mariandel, qu’elle rend volontairement gauche et nasillarde. La chanteuse apporte un soin particulier à la diction et son timbre moiré séduit sur toute la tessiture.
Enfin, la Maréchale altière et mélancolique de Lise Davidsen parachève cette distribution. L’incarnation toute intérieure et sensible de cette dernière annonce dès le début le drame intime qu’elle traverse. La voix est entière, nourrie du grave à l’aigu et les effets pleinement maîtrisés, qui laissent toute la place à l’interprétation. Son monologue à la fin de l’acte I est aussi bouleversant que ses derniers moments en compagnie d’Octavian, emplis de non-dits et de tension dramatique.
Dans la salle du Metropolitan Opera, le public se lève d’un même élan à l’arrivée du trio féminin, très fortement acclamé.
Dans la salle de cinéma, l’émotion est palpable et les applaudissements fusent aussi, malgré quelques problèmes techniques du côté de l'émetteur qui laissent les spectateurs non-germanophones sans l’aide de la traduction française du texte à l’écran à plusieurs reprises.
Le prochain rendez-vous au cinéma proposé par le Met sera une création, celle de l’opéra « Champion » de Terence Blanchard.