Trio de charme : Véronique Gens, Lea Desandre et William Christie à la Philharmonie
Intitulé “Gluck et ses contemporains”, le programme fait en réalité dialoguer la musique du compositeur d’Orphée avec celle des operas serias de Mozart. La première partie du concert mêle ainsi des airs et des duos assez courts, d'une écriture toujours galante et sobre, extraits de La Clémence de Titus et d’Idoménée, alternant avec des pièces pour orchestre issues de cette dernière œuvre.
La soirée remonte ensuite dans le temps pour une deuxième partie consacrée à Gluck qui sonne, par contraste, plus déclamatoire et tragique, surtout dans les extraits d’Armide ou d’Iphigénie en Tauride. Pourtant, grâce à William Christie, le dialogue entre les deux compositeurs se fait sans heurt : dès l’Ouverture d’Idoménée qui démarre le concert, le chef insuffle une énergie bienvenue et donne de la vie à l’écriture de Mozart, avec notamment des extraits du Ballet de cette même œuvre brillants et enlevés, alors qu’il apporte de la douceur et du charme aux pages les plus tragiques de Gluck. Les forces des Arts Florissants, avec des pupitres réduits dont le son n’est pas toujours très homogène, jouent le jeu de l’expressivité, soutenant les voix de Lea Desandre et de Véronique Gens.
Les deux chanteuses, dont les timbres se fondent naturellement l’un avec l’autre, partagent un certain nombre de traits communs : marquées à une génération d’écart par leur rencontre avec William Christie, elles évoluent toutes les deux quelque part entre soprano et mezzo-soprano et surtout elles partagent un même art tout naturel du chant qui ne sacrifie jamais le texte aux décibels. Annoncée malade, Véronique Gens répond pourtant bien présent, affrontant avec bravoure ses différents airs et duos. Durant la première partie consacrée à Mozart la voix ne donne presque pas de signe de fatigue, tout au plus la chanteuse semble concentrée sur son chant, le visage un peu fermé. Le timbre est tout de suite reconnaissable, brillant et puissant, à la fois rond et argenté. L’émission est plus raidie mais ses duos avec Lea Desandre ont bien le charme attendu. Les héroïnes tragiques de Gluck mettent davantage à l’épreuve la chanteuse, qui paraît plus fébrile en Armide, bien que sa grande scène ait l’intensité requise, portée par une diction toujours expressive et un vrai soin des mots. La voix accuse quelques signes de fatigue dans les aigus qui concluent l’air et se montrera plus enrouée jusqu’à la fin du concert. Cela n’enlève rien à la langueur d’Armide ni à la douleur d’Iphigénie, la soprano colorant le texte d’intentions poignantes.
Si la voix de Lea Desandre s’efface un peu dans le premier duo derrière celle de Véronique Gens, elle se rattrape largement par la suite notamment par la souplesse de l’instrument (que traduit la détente du corps et du visage de la chanteuse). Le timbre clair et moelleux est porté par le souffle avec une grande douceur, s’illuminant lorsqu’il atteint les notes les plus hautes. Il coule dans ce répertoire qui demande de la grâce plus que de la force. À cela s’ajoute une sensibilité musicale et des nuances, elles aussi, en souplesses dans les airs de La Clémence de Titus mais aussi dans un extrait du Pâris et Hélène de Gluck, rapide, exalté et tendre, dessiné avec le souffle. Les airs de Gluck qu’elle aborde restent d’une écriture galante, laissant à Véronique Gens les pages plus tragiques, à une exception près : l’air d’Alceste “Grands Dieux ! du destin qui m’accable” où la diction se durcit un peu mais qui captive néanmoins par le soin des mots et surtout par ses phrasés qui soutiennent la déclamation.
Le public applaudit très chaleureusement les deux chanteuses qui se prennent dans les bras, visiblement soulagées que le concert se soit bien déroulé, soutenues durant toute la soirée par un William Christie attentif et enjoué.