Du pouvoir des femmes à l'Opéra en la Sainte-Chapelle
Comme l’explique Fabienne Conrad qui présente brièvement et judicieusement chaque groupe de pièces, la thématique cohérente du concert suit le schéma traditionnel à l'opéra (la soprano et le ténor s'aiment mais le baryton est jaloux et détient le pouvoir). Le programme confronte donc ici l'héroïne soprano au baryton aristocrate, prédateur ou simplement jaloux et furieux (du Comte Almaviva de Mozart au Scarpia de Puccini), en duos interpolés de quelques airs solistes abondant dans la thématique.
Jean-François Boyer (qui reviendra pour accompagner ces deux artistes séparément, avec un programme en duo ténor-baryton puis soprano-ténor dans le concert de clôture) concentre dans son piano les réductions d’orchestre pas toujours très pianistiques, la densité des partitions demandant une interprétation complexe à deux mains et qui soutient pourtant ici constamment et attentivement le chant. L'instrument traduit même les chatoiements de l’orchestre wagnérien dans "O du mein holder Abendstern" de Tannhaüser), et l’intensité dramatique hallucinée, dans la mort de Scarpia.
Régis Mengus, baryton français désormais invité sur la scène lyrique européenne offre une voix de format moyen, mais sonore et bien projetée, avec un souci constant de la diction, dans une démarche d’incarnation efficace. Il est touchant dans l’air d’Onéguine, avec une douceur sonore (mais manquant de fait de traduire la morgue du personnage repoussant l'amoureuse candide). Il saisit l’expression de colère de Zurga ("Je frémis, je chancelle" dans Les Pêcheurs de perles), mais manque d’ampleur, héroïque pour Wagner, ainsi que dans le duo avec Traviata où, malgré le soin apporté en incarnant Germont qui apitoie et circonvient cette dernière, il ne déploie pas encore la largeur vocale qui lui conférerait l’autorité que doit dégager le personnage.
Fabienne Conrad, avec sa voix aisée et déployée de soprano lyrique, incarne les différents personnages du programme avec une énergie rugissante. Pleinement sonore sur toute la tessiture, elle maitrise la dynamique du pianissimo au fortissimo, affirme son registre de poitrine, et un grand souci du texte pour incarner justement toutes ces femmes, victimes ou offensives. Elle achève le "Casta Diva" (Norma de Bellini) sur un pianissimo extatique, tandis que sa Leonora est pleine de bravoure et sa Traviata chargée d’émotion.
L'auditoire fasciné manifeste pleinement son enthousiasme, et pour changer et pour finir sur la note joyeuse d'un couple réuni, le duo Papageno et Papagena (La Flûte enchantée de Mozart), vient conclure en bis le concert.