Terrifiante et touchante Turandot à l’Opéra de Massy
Deux semaines après avoir conquis le public clermontois, l’effrayante princesse Turandot, héroïne de l’ultime opéra de Puccini, fait étape à l’Opéra de Massy. La large scène permet d’accueillir le décor imposant imaginé par le metteur en scène Aquiles Machado et réalisé par Alfredo Troisi. Le plateau découpé par des toiles imprimées de dragons en noir et blanc ainsi que des escaliers, permet ainsi un effet de profondeur. Le troisième plan, se referme pour quelques légers changements, offrant la vue sur un pont qui permet aux protagonistes, tels Turandot ou l’Empereur, de gagner en hauteur afin de dominer l’ensemble de la scène tout en s'y détachant notamment grâce aux lumières.
Quelques substitutions d'accessoires seulement, comme le gong ou le trône impérial, font offices de changements de décors, surtout dans ce troisième plan. Les costumes, dessinés également par Alfredo Troisi, sont particulièrement beaux et détaillés, évoquant immédiatement cette Chine impériale : extrêmement simple et sombre pour le peuple, particulièrement riche et brillante pour l’élite de la Cour. La scénographie, reposant surtout sur la disposition en symétrie des comédiens-chanteurs, participe des effets impressionnants de la musique.
Chrystelle di Marco, que le public massicois commence à bien connaître, s’impose dès ses premières notes du rôle-titre. Elle est d’abord intimidante par sa voix puissante, ses aigus perçants et ses graves noirs. Par ses regards pénétrants et son engagement dramatique, sa présence fait frissonner et pourtant, grâce à une belle maîtrise de ses nuances, laisse entrevoir quelques touches de tendresse : traduisant ce personnage qui, se donnant des airs terribles, souhaite simplement rester libre dans un monde où les hommes se croient tout puissants. Le passage des énigmes est saisissant de tension, Turandot retrouvant ici toute la présence de son personnage, princesse aussi glaçante que brûlante de vengeance.
Le valeureux –mais aussi orgueilleux– prince Calàf est incarné par le ténor Eduardo Sandoval, à la voix projetée avec héroïsme, notamment ses aigus d’une appréciable rondeur, quoiqu’aussi un peu de dureté. Se voulant démontrer une présence forte et un timbre puissant, le ténor perd en souplesse et surtout en subtilité, son fameux "Nessun dorma" étant techniquement réussi mais perdant les reliefs du timbre et du phrasé.
Liù est interprétée par la soprano Francesca Bruni, très touchante de sincérité lors de son air de déclaration d’amour puis de sacrifice. Elle y fait entendre un timbre clair et tendrement chaud, sensible avec retenue. A ses côtés, la basse Viacheslav Strelkov convainc aisément en roi déchu Timur par sa présence et son timbre profond.
Le baryton Guillem Batllori interprète le Mandarin et le conseiller impérial Ping. Outre son jeu d’acteur investi et tout à fait appréciable, sa voix s’impose avec clarté et rondeur, déclamant ses textes distinctement et avec fermeté, tout en gardant un peu en facétie en trio. Ses compères Pang et Pong, chantés par les ténors Yuanyuan Gong et Zelin Sun, savent également se faire apprécier, malgré la mise en place ardue de ce trio « O China, O China ».
Le ténor Inheyong Hoang prend pour sa part les traits de l’Empereur Altoum et parvient à projeter sa voix assurée, bien qu’étant en fond de scène.
Le Coro Lirico Siciliano, préparé par Francesco Costa, participe pleinement aux effets de masse avec une homogénéité très appréciable, notamment des pupitres masculins. Dirigés par la gestuelle ample et souple de Constantin Rouits, dessinant ainsi les courbes des phrasés avec un sens aigu de la respiration, les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Massy parviennent à offrir de belles pages, surtout les plus impressionnantes et majestueuses. Les cordes offrent d’agréables couleurs dans les passages les plus tendres, avec maîtrise et homogénéité. Les bois déploient leurs belles interventions, soutenant ainsi les couleurs des voix et les touches orientalistes de Puccini.
Le public massicois applaudit longuement et avec reconnaissance l’ensemble du plateau.