British et Mystique Messe de Bach à BOZAR
Les temps de Pâques sont passés, partagés entre les notes sombres de la semaine sainte du Christ jusqu’à sa résurrection solaire, mais le temps musical reste religieux avec la dernière œuvre achevée de Bach. Sommet considéré comme « le plus grand chef-d’œuvre musical que le monde ait jamais vu » par Karl Friedrich Zelter (à qui l’histoire de la musique est redevable d’avoir conservé les partitions de Bach), également décrit par son contemporain musicologue-éditeur suisse Hans Georg Nägeli comme « la plus grande œuvre d’art musical de tous les temps et de tous les peuples », ce magnum opus, dont l’écriture se sera étalée sur 35 années (de 1714 à 1749, et seulement publié -par Nägeli- en 1833), transcrit les émotions d’un compositeur tiraillé entre tragédies personnelles et profonde piété. Cette œuvre œcuménique d'un compositeur luthérien revenant au texte catholique latin prend en outre, sous la conduite de Sir John Eliot Gardiner, une note British, à la noblesse raffinée et lumineuse. L'architecture formelle est soutenue par la clarté prosodique, l'alliage de la partition étant rendu par le chef et ses phalanges.
Déployant le recueillement d'une communauté unie, les trente-trois chanteurs du Monteverdi Choir (comme l’âge du Christ lors de sa crucifixion) invitent à la solennité en entourant l’orchestre et l'acoustique d'un souffle nourri, solennel. Leur chant déploie la construction baroque mathématique, habitée par des émotions cycliques, la répétition des mélodies d'inspiration grégorienne (monodie monacale) vers de multiples lignes. Les chœurs viennent peupler cet espace musical avec une amplitude mystique, fluide et résolument émotionnelle. Pudeur et chagrin prennent ainsi place sur la scène de BOZAR avec une humilité particulièrement vibrante.
L’Orchestre, l’English Baroque Soloists offre une complicité musicale visible et une précision subtile, rendant l’espace, la profondeur sonore et émotionnelle de Bach, à la fois dans son infime précision et ses dimensions, architecturales et solaires.
La soprano Hilary Cronin qui appartient au chœur met ici à l’honneur en soliste sa voix expressive, narrative au vibrato serré et chaleureux. Les arias sont limpides et riches, le ruissellement vocal ondule sans difficulté apparente sur les textes.
Sa collègue mezzo-soprano Sarah Denbee dessine avec polyvalence sa voix d'une humilité certaine, tenue et pudique, pourtant ample et chaude. Mesuré, son chant est clair et boisé avec facilité.
Mezzo-soprano invitée, Bethany Horak-Hallett marque par l’élégance de son appareil solaire, vibrant et généreux, la voix teintée et cuivrée lui offrant une apparition remarquée parmi les solistes. Le ton chaud et grave, sans difficulté apparente, réussit à allier les instances limpides et pourtant amples et larges de Bach.
Nick Pritchard s’impose par l'élégance d'une douceur de voix et d'une discrétion qui réclame à l’auditoire une attention particulière. Captivant, l’humilité récitative du ténor classique est vibrante, tenue et subtile. Jonathan Hanley marque sa voix d’une austérité plus certaine encore, dont même les ornements et tenues sont équilibrés.
Lui répondent les voix sombres de Dingle Yandell, baryton-basse dessinant la puissante fluidité de sons roulés et de vibrations tenues, et, plus en retrait, Alex Ashworth qui rencontre, en raison d'un souffle écourté, des difficultés à terminer ses arias pourtant appuyées.
Le contre-ténor américain Reginald L. Mobley déploie sa voix dans l'espace acoustique avec limpidité et chaleur pourtant, précision et liberté d’interprétation. Poursuivant l'oxymore, dans la retenue et une certaine ferveur, sa présence se fait marquante avec une finesse élévatoire. Il est acclamé comme une star.
Les interprètes de cette œuvre magistrale, de cette plongée restituée en deux petites heures de musicalité spirituelle ininterrompue, sont ovationnés, longuement et debout, par un public ému saluant aussi notamment Sir John Eliot Gardiner qui fêtera dans quatre jours ses quatre fois vingt ans.