La Passion selon Saint Matthieu au Festival de Pâques d'Aix-en-Provence
Comme chaque Vendredi Saint désormais, une Passion de Jean-Sébastien Bach est au programme du Festival de Pâques d'Aix-en-Provence, et c'est au tour cette année de La Saint Matthieu au Grand Théâtre de Provence (dans la foulée de la Philharmonie de Paris).
Les jeux de lumières, très solennels, et rehaussés par une fine fumée faisant ressortir les faisceaux lumineux comme venus du ciel, saisissent le spectateur dès son entrée dans la salle et le mettent dans l'esprit de la soirée : l'heure n'est pas à la fête, mais à la commémoration et au recueillement. De fait, l'objectif semble être atteint, à en juger par le silence religieux du public nombreux – le concert affiche complet – qui se prolonge pendant quelques secondes après l'accord final.
Le rôle de L'Evangéliste, narrateur relatant la parole biblique, occupe une place centrale dans l’œuvre. Il est interprété – avec passion ! – par le ténor britannique Ian Bostridge, véritablement habité par son récit : toujours expressif lors de ses nombreux récitatifs, il ne quitte jamais son rôle même lorsqu’il n’est pas sollicité, comme pour ne pas laisser retomber la tension dramatique. Sa voix de stentor lui permet des entrées éloquentes, aux beaux aigus poitrinés malgré leur hauteur et bien soutenus.
Benjamin Appl incarne Jésus Christ de sa voix de baryton au timbre clair. Également très investi dans son rôle, il montre une belle amplitude de son sur toute sa tessiture. Ponctuant ses aigus de petits coups du pied, comme pour mieux s'ancrer, il donne toutefois à certaines de ses interventions un côté légèrement autoritaire qui détonne avec l'image de son personnage.
La soprano Anna El-Khashem et l'alto Mari Askvik interprètent les parties solistes féminines, sans rôle particulier à l’exception d’une brève intervention de l'épouse de Pilate dans la partie de soprano. Anna El-Khashem enchante par sa voix légère, presque cristalline, dont l'expressivité se révèle dans le vibrato des fins de phrase. Mari Askvik quant à elle possède un timbre beaucoup plus chaud et sombre, qui s'extrait toujours avec clarté de la masse orchestrale, même dans le grave. Sa performance dans le fameux "Erbarme dich", aux accents plaintifs déchirants, est particulièrement appréciée par le public.
Autre soliste sans rôle attitré, le ténor James Way montre des aigus puissants, quoique parfois légèrement détimbrés. Enfin, Thilo Dahlmann chante le triple rôle de Judas, Pierre et Pilate de sa voix de baryton-basse au timbre sombre. Si les graves peuvent parfois manquer d'épaisseur, ils restent clairs et tout en justesse.
Christophe Rousset dirige les orchestres et les chœurs (Les Talens Lyriques et le Chœur de Chambre de Namur) de sa gestique précise et claire. Les nombreux chorals madrigalesques (alliant déploiement et précision chambriste), une des spécificités de cette Passion, répondent à l'Evangéliste en commentant l'action, dans un esprit très opératique. Formant un véritable ensemble, ils gratifient le public de belles harmonies, en particulier dans la scène de l'arrestation de Jésus. Si la configuration de la scène ne permet pas de respecter la spatialisation de l'œuvre imaginée par Bach, avec un public placé au centre et des chœurs et orchestres à l'opposé, les deux ensembles en réponse en donnent tout de même un aperçu par la dynamique de leurs échanges.
Les applaudissements nourris du public saluent cette performance, dès l'entracte, et encore plus à la fin du spectacle, avec une mention toute particulière pour l'Evangéliste.