Bach re-visité par René Jacobs au Festival de Pâques d'Aix
Devant quelques corolles et motifs cruciformes projetés en fond de plateau du Grand Théâtre de Provence, le concert plonge entièrement dans les échos de la musique plainte-votive, d'abord avec deux cantates pour voix soliste, deux voix qui se réunissent après l'entracte dans le Stabat Mater de Pergolèse mais réinstrumenté par Bach.
Les deux voix se rejoignent mais les interprètes restent séparées des deux côtés de l'orgue sur une petite estrade en fond de scène, dispositif qui tend à ouater leur partie. Pour se rencontrer tout en restant à distance, ces deux voix trouvent en dénominateur commun pudeur et douceur mais perdent en expression, phrasé et couleur.
La redistribution des instruments du Stabat Mater peut étonner, en plongeant dans une sonorité épurée d'autant qu'elle contraste en atténuant les contrastes de coloris bien soulignés dans les cantates qui précèdent, mettant à l’honneur la flûte traversière, puis le hautbois et l’alto. Ces contrastes sont d'autant plus accentués que l'interprétation du Stabat est atténuée jusqu'à l'épure, pour trouver une intimité dans cette grande salle.
L’alto Helena Rasker insère délicatement sa voix dans la texture orchestrale, avec un sens du sfumato venant flouter les contours de ses dessins vocaux. L’expression et la projection sont souples, tandis que le grave de la tessiture, flûté, tend à se perdre dans l’orgue et la contrebasse. Elle semble ainsi faire partie du continuo – ligne de basse et remplissage harmonique – à l’avancée inexorable. Les récitatifs, orientés vers le grave, terre du sépulcre, appellent davantage chez elle de véhémence, et de projections. Le souffle est travaillé dans les airs en longues séquences, qui vient canaliser l’inspiration, tandis que les consonnes viennent ponctuer, avec le relief insistant de la langue poétique, les fins de phrases. Les aigus, pianissimi, expriment la fragilité de l’existence, tandis qu’ils peuvent fugacement s’appuyer sur l’unisson instrumental, avec la flûte notamment.
La soprano Birgitte Christensen se détache d'abord en soliste de la dense forêt orchestrale et fait ondoyer souplement son timbre acidulé ainsi que ses trilles nacrés (se raréfiant pour exprimer l’humilité) avec sa ligne sinueuse, sur la même longitude que le hautbois solo. Le propos est clairement lisible, rendu serein par l'engagement dans le texte, rendu vivant par l’engagement serein dans le chant.
La réunion de la soprano et de l’alto, est surtout celle de leur écoute réciproque planant comme une ligne d’horizon, notamment dans la dernière partie du Stabat Mater suspendant le temps jusqu'au bout du decrescendo.
René Jacobs, à la tête du B’Rock Orchestra, est solidement ancré sur son estrade. Il produit une battue dirigée vers le ciel et privilégie la symétrie, l’équilibre, la tempérance, en termes de volume sonore. Le tempo choisi produit différentes natures de balancements : ternaires consolants, binaires avançant, silences émouvants. Les instruments solistes – l’alto étant plus à la peine sur le plan de la justesse – s’acquittent de leurs parties virtuoses avec intelligence, incorporant du phrasé vocal, l’augmentant de leurs potentialités décuplées (trilles, diminutions, modes d’attaques, jeu droit ou vibrant,...). Orgue, théorbe, harpe, cette dernière moins audible, produisent une texture bien marquetée, tandis que l’ensemble dévolu aux cordes, dans le Pergolèse-Bach, exige une justesse qui, çà et là, vient à manquer.
Le public répond de manière vibrante à l’appel du Cantor qui ne l'est pas moins, mais n’obtient pas le bis, ardemment souhaité. L’Amen du Stabat Mater ne peut être -ce soir au moins- qu’une apparition unique et éphémère : une aura, qui accompagne la musique sacrée, en prise directe avec le mystère de l’instant.