Deux Stabat Mater écrits pour deux castrats, à Versailles
L’image de la Mère de Jésus éplorée au pied de la croix a inspiré nombre d’œuvres particulièrement émouvantes, résonant tout particulièrement en cette période de Pâques. Le fameux Stabat Mater dolorosa fut ainsi notamment immortalisé comme le « chant du cygne » de Pergolèse, créé en 1736 probablement par deux castrats. L'œuvre fut notamment apportée dans leurs valises par des castrats, très appréciés à la Cour de Louis XV, et interprétée devant le roi en sa Chapelle Royale. Deux siècles et demi plus tard, elle résonne encore sous ses sublimes voûtes peintes et se voit réunie avec le Stabat Mater de Vivaldi (introduit par son In Furore iustissimae irae) pour cette soirée d’intense recueillement, dédiée à la mémoire de Denis Jovignot, fin mélomane et ami fidèle de l’Opéra Royal.
La légère cape de tulle noire par-dessus sa veste reste la seule et sobre fantaisie du sopraniste Bruno De Sá qui étonne toujours autant et immédiatement par la légèreté de son timbre angélique, autant qu'il convainc par sa sensibilité, retenue mais bien présente. Son auditoire se montre très attentif à ses longs phrasés soutenus avec grand soin, à son agilité et à ses aigus d’une très appréciable finesse, surtout lorsqu’ils sont piano, ponctuant ainsi avec tendresse la toute fin du "Tunc meus fletus" (Puis mes pleurs... deviendront bonheur). Ses propositions musicales restent tout aussi belles et touchantes, lumineuses sans jamais d’exubérance déplacée, lors du Stabat Mater de Pergolèse. Il y trouve une appréciable complémentarité en duo avec Cameron Shahbazi, mêlant avec pertinence leurs propositions de couleurs.
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Le contre-ténor Cameron Shahbazi, interprétant seul le Stabat Mater de Vivaldi, se montre très attentif à sa diction, très soignée, proposant une interprétation à ce point retenue qu'elle sonne comme voilée : en raison de son timbre moelleux dans le médium et l'aigu mais aussi d'un manque de direction et de distinction de ses phrasés. Les graves qui limitent notamment les inspirations (le souffle et le caractère) finissent par s'arrondir et ne plus détimbrer.
L’Orchestre de l’Opéra Royal accompagne ces œuvres sacrées avec contrastes et diversité de couleurs. La sonorité ne se débarrasse toutefois pas d'une certaine acidité de timbre malgré des intentions patentes mais l'efficience de la proposition s'exprime avec intense clarté dans le staccato (piqué). Le violoniste franco-argentin Andrés Gabetta dirige avec l'engagement de l'instrument, insufflant quelques élans souples et effets planant de la main mais au détriment de la précision.
Comme pour les Leçons de Ténèbres de Couperin en ce même lieu, en cette même période Pascale, dans toute la cohérence du calendrier cultuel et culturel, l’éclairage déclinant progressivement tout au long de la soirée ne laisse que l’intime lumière des bougies qui entourent la scène.
À l'image de leurs flammèches, les ultimes vocalises agiles de l’Amen déclenchent le vibrant enthousiasme de l'assistance. Le public de Château de Versailles Spectacle, toujours aussi chaleureux et notamment lorsqu’il a droit à d’éclatantes réminiscences de l’héritage des castrats, se montre fort reconnaissant envers la sensibilité mâtinée de la bravoure équilibrée des artistes, leur offrant une ovation après le bis de Bruno De Sá, "Tu del Ciel ministro eletto", air final d'Il Trionfo del Tempo, parachevant cette soirée de délicatesse.