Ô mon bel inconnu à l’Athénée : chapeau !
Le commerce est à l’honneur ! Deux jours après La Petite boutique des horreurs à Dijon, qui se passait chez un fleuriste, l’Athénée présente Ô mon bel inconnu, une autre comédie musicale qui se déroule, elle, chez un chapelier. Par ennui, Monsieur Prosper Aubertin publie une petite annonce dans laquelle il indique chercher l’âme sœur. Parmi 131 répondantes se trouvent sa femme, sa fille et sa bonne : l’occasion de nombreuses aventures burlesques. Le livret vaudevillesque de Sacha Guitry est une avalanche de jeux de mots que Reynaldo Hahn met en musique avec légèreté.
Metteuse en scène du spectacle, Émeline Bayart joue Félicie, aussi (dans un style rappelant Arletty, créatrice du rôle). Elle souhaite plonger le spectateur dans cette famille en quête d’idéal, d’une sorte d’île de rêves dans lequel l’inconnu est à la fois l’amant rêvé, l’action défendue que l’on n’ose accomplir ou le changement de vie à peine imaginable. Anne-Sophie Grac dessine une scénographie élégante (avec son escalier en faux marbre mais vrai bois qui grince) et ingénieuse, qui révèle ses surprises au fil du spectacle, et ménageant de nombreuses portes qui claquent et reclaquent (comme les mots du livret). Ses costumes, chics et distingués, s’inspirent d’une esthétique des années 1930 (l’œuvre a été créée en 1933). Le travail du comique est précis et efficace, mais certains tableaux, plus mélancoliques, savent également se montrer beaux et touchants (le trio « Ô mon bel inconnu » est ainsi tout à fait réussi).
Marc Labonnette est omniprésent en Prosper Aubertin (nom qui s’épèle comme dans la vidéo ci-dessous), chapelier pas si fou. Son chant au médium généreux est soigné sur toute la ligne, théâtrale mais sans y sacrifier la musicalité.
Sous ses faux-airs de Fanny Ardant, Clémence Tilquin campe Antoinette (la mère). Justement, ardente est aussi sa voix dardée et lumineuse, et sa déclamation théâtrale. Elégante dans son jeu, elle l’est aussi dans son chant. Sheva Tehoval montre une large palette théâtrale en Marie-Anne (la fille) : la peste, la mutine, l’amoureuse ou la rêveuse. Sa palette vocale n’est pas en reste, puisqu’elle expose une voix soyeuse et rougeoyante, au vibrato rond comme un melon (le chapeau, bien sûr).
Victor Sicard est un charmant Claude, prétendant de la fille, Marie-Anne. Son timbre de baryton éclatant correspond au personnage sûr de son pouvoir de séduction. Et si le personnage se montre polisson, la voix est elle de bonne conduite. Jean-François Novelli interprète le double-rôle de l’amant transi Jean-Paul à l’acte I et du propriétaire M. Victor à l’acte II. Parvenant à caractériser avec finesse mais drôlerie chacun des deux personnages, pourtant très caricaturaux, il chante d’une voix de caractère qui manque d’architecture. Carl Ghazarossian campe un hilarant Hilarion, muet Lallumette muant en mélomane : d’abord confident mutique, il retrouve en effet une voix de ténor sombre, très couverte par laquelle il peut chanter ce qu’il ne peut point dire.
Samuel Jean dirige l'Orchestre des Frivolités Parisiennes d’abord grevé d’une certaine lourdeur et d’une sonorité sépia. Mais bien vite, porté par la scène, il retrouve un certain allant et ménage de beaux moments de poésie.
Le rideau tombe après trois heures d’un spectacle qui passe vite tant il y a de la joie et de l’esprit. Une fois encore, la salle pleine et ravie de ce moment de légèreté applaudit les interprètes avec entrain, preuve que ce répertoire, parfois dédaigné, n’est pas à négliger. CQFD.