Ode lyrique et symphonique à l’Opéra de Toulon
Le concert s’ouvre sur une Ode pour soprano et orchestre composée sur un texte de Paul Claudel par Jules Matton (né en 1988) qui par ailleurs vient de publier un roman initiatique intitulé Gaspard. L’œuvre, d’un seul tenant, tel un psaume, est suivie par deux opus instrumentaux, requérant une même phalange bien déployée : le Premier Concerto pour violoncelle de Chostakovitch et la suite L'Oiseau de Feu de Stravinski. Le programme réunit ainsi le déploiement sonore de l’expression soliste et collective, de la virtuosité et de l’instinct.
La pièce contemporaine composée lors d'une résidence à Amiens en 2020-2021 est recréée ce soir avec celle pour qui elle fut écrite : la soprano Marlène Assayag, sa voix longue, sa science du souffle, ses timbrages fauves et constellés. Le contraste entre masse orchestrale, dispositif électroacoustique et psalmodie souvent recto-tono (restant sur la même note) de la partie vocale, dont l’ardente ferveur est constamment retenue, justifie la très légère sonorisation de la voix. Le procédé n’enlève rien au naturel de l’instrument, qui peut ainsi se concentrer sur les mille nuances de sa partie, sur sa manière délicate ou véhémente de s’emparer du texte. L’œuvre déroule un contrepoint géant, une diaphonie colossale, entre le chant et les forces de l’orchestre, auxquels s’ajoutent des chuchotis enregistrés, qui amplifient la prière vivante et lui confèrent sa dimension collective, son universalité.
La voix pénètre les textures orchestrales ou les couronne, sans jamais être absorbée par leur énergie, massive, ondoyante ou dentelée. En revanche, le texte reste inaudible, la chanteuse étant prise entièrement par le travail de projection de la matière lyrique et de maintien de la justesse. Les graves de la chanteuse sont largement posés, tandis que les couleurs vibrantes de ses voyelles sont obtenues par un tremblement labial bien contrôlé. L’aigu est volontairement tendu, comme réinjecté en permanence, jusqu’à un climax qui semble impossible à atteindre. Le corps est également tout entier mobilisé, tendu, la soprano restant hiératique, le regard perdu dans un horizon lointain. Seule semble compter la continuité de la prière, quels que soient les événements.
Le chef Arie van Beek étonne par son imagination gestuelle, quasi-chorégraphique (seyant pour la musique du ballet L'Oiseau de feu). Sa formation initiale de percussionniste, son affrontement avec de multiples matières instrumentales, rend palpable l’énergie rythmique qu’il parvient à créer et maintenir durant toute la soirée. Tout son corps s’arrondit comme s’il tirait constamment sa révérence à la musique, ou se balance à la manière d’un polichinelle dans les passages syncopés. Il parvient à atteindre le point d’équilibre entre la souplesse et la mesure, l’impulsion et la raison, et à rendre lisible la matière-musique complexe qu’il dirige avec doigté.
L'Orchestre Symphonique de l'Opéra de Toulon produit des textures labiles et plastiques, une matière vibratoire palpitante, comme un grand diapason, depuis les percussions et les vents, sursollicités, jusqu’à l’ensemble des cordes, toutes scintillantes de justesse.
Le violoncelliste Victor Julien-Laferrière interprète le Concerto de Chostakovitch créé par Rostropovitch en 1959. Le vocalisme de son interprétation, la souplesse de sa tenue d'archet prolonge l’ouverture lyrique de la soirée. Son coude droit, tenu parfois très haut, lui permet d’obtenir une expressivité organique, à la manière du chant, qui tient autant au vibrato de la main gauche qu’à la pression exercée par l’articulation de l’épaule sur l’archet.
Retrouvez la playlist du violoncelliste Victor Julien-Laferrière sur Classique mais pas has been
Le public salue la performance de la soirée, au cours de laquelle une même énergie ardente et moderniste réunit les générations, un jeune public venu nombreux manifestant haut et fort son admiration.