Triomphe concertissimo pour Les Puritains de Bellini au TCE
Dernier opéra de Bellini (créé à Paris déjà sous les vivats), I puritani se prête particulièrement à la version de concert, présentée ce soir, et à ces interprètes. Le livret aussi limpide que tranché suit le schéma classique et déchirant de Roméo et Juliette. À ceci près que la fin est ici heureuse pour le couple formé, déchiré puis retrouvé d'Arturo et Elvira, qui s'aiment malgré la guerre entre leurs familles respectives : les partisans de Cromwell (puritains) et ceux du roi. Ce schéma bien connu et lisible permet surtout à Bellini de faire gravir les sommets du bel canto à ses interprètes, en structurant toute sa partition sur des airs et ensembles (petits par le nombre d'interprètes, grandissimes par le contenu musical), que couronnent les suraigus et le légendaire "Quatuor des Puritains" en autant d'arrêts sur image suspendant l'histoire et le souffle de l'auditoire. Idéal donc pour une version concertante, et elle est assumée comme telle par ces interprètes : non seulement entrent-ils des coulisses pour s'installer à l'avant scène derrière les pupitres (comme d'habitude en version de concert), mais ils n'entrent dans leur personnage que le strict temps de chanter (avant cela ils se sourient entre eux et au public voire lèvent un sourcil ou se préparent physiquement aux sommets de l'air suivant, et une fois émise la dernière note d'un numéro, ils rayonnent en un grand sourire en poussant un grand soupir).
Nul besoin donc de suivre les surtitres ici projetés (en français et en anglais pour ce livret italien), l'auditoire pouvant comprendre le sens des sentiments évoqués et surtout se laisser porter à la virtuosité de cette partition : l'histoire passe en retrait au profit d'une suite de moments musicaux plus impressionnants les uns que les autres. À cet égard et à l'applaudimètre, le couple central émerge triomphant. Leurs voix sont pourtant dépareillées, opposées même en de nombreux points mais la magie de l'opéra opère justement en mariant les contraires. Certes, il faut rappeler que le duo de ce soir n'était pas celui initialement prévu, et il faut rappeler que Levy Sekgapane fait même ici ses débuts dans le rôle d'Arturo, en remplaçant Xabier Anduaga : il faut le rappeler tant est forte l'impression laissée par le ténor sud-africain vainqueur du Concours Operalia en 2017 et qui donnait récemment des gages belliniens lyriques dans ses récitals à deux avec le grand Arturo qu'est Lawrence Brownlee (à Paris et Toulouse).
Levy Sekgapane fait pourtant une entrée timide en Arturo, regardant au sol, avant d'échanger un discret sourire avec l'Elvira de Jessica Pratt. Sa voix se déploie de même, avec tendresse dans cet alliage typique du ténor bel cantiste d'un placement légèrement pincé mais pour mieux résonner. Le fond de voix a comme un voile de douceur dans le timbre, mais pour mieux impressionner avec l'agilité de ses changements de registre, par la pureté du suraigu. C'est ainsi et tout en délicate clarté qu'il chante le fameux sommet de sa partition (le "contre-fa", note de ténor la plus aiguë écrite du répertoire), comme il construit un personnage de héros au cœur tendre. La voix se déploie ainsi en douceur vers les sommets de la portée mais reste loin des sommets de volume : son placement lui permettant de rester bien audible, il se cantonne à la tendresse de nuances très mesurées.
OPERA | #Bellini, serait-ce la techno du XIXe siècle ? Réponse avec le ténor #LevySekgapane qui chante le rôle d'Arturo dans #LesPuritains face à Elvira de @Soprano_JPratt avec @orchambreparis Dernière chance pour le voir ce samedi à 19h30: https://t.co/fj8My5aGGH pic.twitter.com/NEp7EzaMob
— Théâtre des Champs-Elysées (@TCEOPERA) 31 mars 2023
Jessica Pratt ménage elle aussi ses effets, mais tout à l'inverse. Celle qui incarnait ce premier rôle encore récemment en version mise en scène à Rome et en version concertante à Marseille étonne toujours autant par sa voix d'abord si vibrée que le cœur de la note est effacé, mais pour mieux déployer ensuite sa signature vocale : son crescendo qui emplit -sans le moindre effort apparent- l'acoustique du Théâtre, autant que les oreilles et les cœurs des auditeurs. Elle confirme que ses premiers effets vocaux sont justement des effets, tant elle sait ensuite tenir des pianissimi d'une homogénéité absolue dans l'aigu, avec des attaques impeccables. Elle achève de charmer et d'assurer son triomphe en se riant des vocalises, dans toute la candeur puis la folie du personnage abandonné, par des sauts piquants (et même ses tenues de concert servent pleinement son incarnation : l'or brillant de sa robe noire et l'argent de son collier avant l'entracte, puis le bleu étincelant de sa tenue couverte par un voile noir).
Here we are the The Puritans after a hard week, I think we will have a fantastic evening tomorrow ️ I Puritani in Paris. @GiacSagripanti #Jessicapratt pic.twitter.com/qayU9bAmzc
— Levy Sekgapane (@LEVYSEKGAPANE) 31 mars 2023
Dans un registre encore fort différent, Gabriele Viviani marque d'emblée les esprits en Riccardo, son entrée déployant et projetant sans attendre son baryton richement accentué et tonnant. La largeur de son timbre s'affirme dans le médium aigu mais sert aussi la douceur d'une couleur cendrée dans les souples lignes de cette partition. Son intensité est non seulement nourrie mais relancée en fins de phrases, pour repartir derechef (faisant pardonner le manque d'agilité dans les vocalises et les libertés rythmiques qu'il s'accorde, sur ce plateau où ses camarades usent avec grande parcimonie de l'accelerando/rallentando). Il maintient cette double richesse sonore avec endurance, hormis à la toute fin du duo avec le Giorgio de Krzysztof Bączyk, les deux hommes s'encourageant de vigueur jusqu'à la tension et au décrochement.
Qu'à cela ne tienne, le public apprécie même ces moments comme des preuves de générosité et d'originalité. C'est ainsi que Krzysztof Bączyk reçoit également sa part d'applaudissements, pour le quatrième registre qu'il propose. Afin de traduire la vieillesse de Giorgio, il épaissit la voix en abaissant le menton comme il voile parfois son timbre, pour mieux surgir en éclats (montrant alors justement la vigueur de son appareil sombre ou tonique, voire les deux à la fois).
La voix de Tamara Bounazou en Enrichetta sonne dans la salle avec la vigueur de sa projection, la clarté de sa ligne mélodique, un caractère franc et rebelle (notamment dans le médium aigu, le grave venant à manquer).
Dans cette histoire à la Roméo et Juliette qui contient un personnage de Riccardo, l'artiste nommé Riccardo Romeo chante le personnage de Bruno à l'avant-scène comme les autres solistes, mais comme s'il était avec le chœur campant les soldats. Droit et solennel, le soliste déploie une ligne très vibrée (un peu tremblante). Son attitude à l'avenant, bombant légèrement le torse appuie ses accents qui dessinent la rondeur de l'aigu.
Giacomo Nanni enrichit le rôle de Walton de sa voix grave, sombre de caractère mais sans excès aucun grâce à sa ligne articulée et aisée. D'autant que sa connaissance pleine et entière de son rôle relègue (comme le fait Jessica Pratt) le pupitre au rang d'inutile accessoire.
L'Orchestre de chambre de Paris offre une prestation et une sonorité oxymore, à l'image des riches passions de ce drame qu'ils savent déployer dans les sections sans le chant, et concentrer avec. Les cuivres assument de froncer, voire de faire grincer leur timbre dans le cadre d'un phrasé noble et d'éclats rutilants, repris tout autrement par les bois, par les cavalcades sautillantes des cordes, le tout creusé par les archets des contrebasses. La cohérence de tout l'ensemble est assurée par le maestro Giacomo Sagripanti qui se tourne et se retourne vers les pupitres et vers les chanteurs, arborant à chaque instant l'expressivité de la partition sur son visage et via la clarté de sa baguette agile et ferme.
Le Chœur de chambre Les Éléments offre lui aussi une prestation riche, projetant un son puissant et lyrique mais ses membres restent trop concentrés sur leurs partitions, et la manière désordonnée par laquelle ils se lèvent et remontent leurs pupitres annonce déjà les petits soucis rythmiques de leur chant. Autant les accents vigoureux des passages martiaux révèlent des individualités fort lyriques, autant les passages legato savent s'adoucir.
Cette soirée éminemment concertante est accueillie par un concert d'acclamations (à l'issue de chaque sommet de cette partition, avant l'entracte et davantage encore à la fin de soirée).
Triomphe pour #LesPuritains au @TCEOPERA ! Avec une très belle distribution, dont l'extraordinaire @Soprano_JPratt et le non moins excellent @LEVYSEKGAPANE, @choeur_elements et @orchambreparis sous la baguette toujours avisée de @GiacSagripanti #Bellini #Paris pic.twitter.com/fbPYdJnYfL
— Etienne Gaultier (@E_Gaultier) 1 avril 2023