Grandeur, Décadence et Résurrection : Nabucco à l'Opéra de Marseille
Le mythique chœur de cet opéra, le “Va Pensiero” qui est toujours utilisé régulièrement pour passer des messages à l'intérieur comme à l'extérieur des théâtres, accueille ici le public avant même son entrée dans le bâtiment, entonné avec vigueur depuis les terrasses par les choristes opposés à la réforme des retraites.
Le motif résonnera ensuite avec délicatesse en salle, en réponse à l'orchestre en effectif et timbre sonore importants suivant la gestuelle précise de Paolo Arrivabeni, qui assure une rythmique efficace. La pâte sonore, aux crescendi amples, est chatoyante dans les forte. Les soli virtuoses et nuancés de la flûte traversière notamment offrent des trilles aériens.
La mise en scène de Jean-Christophe Mast est symbolique et dépouillée. Une immense étoile de David est projetée sur un rideau noir. Les tentures souples dessinent les espaces et permettent des jeux de lumières réalisés par Pascal Noël (la couleur orangée annonçant la vengeance qui va s’abattre). Le peuple -du chœur- apparaît en surexposition dans cette lumière, sur ce plateau où les costumes -de Jérôme Bourdin- dessinent les oppositions manichéennes entre les Babyloniens en noir et les Hébreux en blanc sous la menace de longues lances tenues par d'inquiétants guerriers assyriens.
La chorégraphie (de Laurence Fanon) dans les jardins suspendus de Babylone, emploie même ces lances en un ballet guerrier et acrobatique.
Quelques objets complètent la mise en scène sobre : un grand cube, sorte de piédestal élevant les personnages dominateurs (du moment), parmi un escalier en milieu de scène, un lustre immense, une couronne symbolique et dangereuse.
Juan Jesús Rodríguez est annoncé souffrant avant la représentation, mais assure le spectacle. Économisant sa voix mais imperceptiblement durant l’acte I, il déploie ensuite avec efficacité les différentes facettes de son personnage avec sa ligne puissante, timbrée, aux graves denses qui affirment son autorité et sa folie, lorsqu’il se prend pour Dieu. Il est alors foudroyé par un éclair qui éblouit le public, plongé ensuite dans le noir et le silence complet. Nabucco, désormais sans couronne, sans cheveux, une larme sur la joue, reste sur un fauteuil roulant de bois. Juan Jesús Rodríguez déploie alors son médium, avec un léger vibrato, des aigus expressifs soutenus par un souffle constant, la ligne vocale étant nettement articulée. Son imposante palette de nuances dégage une émotion palpable, lorsqu’il redoute l’assassinat de sa fille.
Csilla Boross campe une Abigaïlle destructrice, assoiffée de pouvoir et de vengeance, avec une voix projetée couvrant un ambitus particulièrement large. Elle allie la technique à l'expressivité. Les graves sont solides. Les aigus délicats dans les pianissimi deviennent intenses dans les forte, tout en conservant une justesse irréprochable.
Marie Gautrot incarne Fenena (fille captive de Nabucco), de son mezzo soprano à l’émission claire, au phrasé ample et souple, avec un vibrato élégant dans le médium et des graves timbrés.
Le rôle d’Anna, sœur du prophète Zaccaria, échoit à Laurence Janot, toujours présente même avec le chœur pour des interventions expressives, d’une voix ample et fruitée aux aigus projetés et au timbre lumineux.
Simon Lim campe Zaccaria, prophète à la voix de basse prêchant courage et espoir aux Hébreux. La ligne vocale nettement articulée, à la puissance et au vibrato contrôlés, mène vers des graves soutenus et profonds, particulièrement émouvants. Les nuances nombreuses et intenses renforcent l’autorité du personnage.
Jean-Pierre Furlan, dans le rôle d’Ismaël, chante son amour pour Fenena de son ténor à l’émission haut placée, au phrasé soigné, avec un médium fluide, soyeux et des aigus cuivrés.
Jérémy Duffau (Abdallo) et Thomas Dear (le Grand Prêtre), s’expriment avec une ligne mélodique nettement articulée et nuancée, le premier d’une voix de ténor projetée aux aigus brillants, le second d’une voix de basse puissante et nuancée.
Le Chœur de l’Opéra de Marseille préparé par Emmanuel Trenque, incarne l’unité du peuple Hébreu, respectant les émotions, nuances et tempi ordonnés par la baguette de Paolo Arrivabeni. Le sommet est bien entendu à nouveau le “Va pensiero”, qui s’élève comme une seule voix chantée par les esclaves sur un fond lumineux.
La salle comble de l’Opéra de Marseille ovationne sans retenue, par des acclamations et des applaudissements, les artistes venus saluer, avec une préférence pour la redoutable Abigaïlle, le rôle-titre et le chef de chœur, enchantés, recevant ces hommages la main sur le cœur.