Patricia Petibon inaugure l’Opéra Festival de la Sainte-Chapelle
À l’image de ce Festival dans son ensemble, le programme de ce concert est éclectique, riche et cohérent. Pour le répertoire, les artistes ont ici privilégié les œuvres françaises et espagnoles (avec quelques incursions anglophones), allant pour l’essentiel de la fin du XIXe siècle jusqu’au contemporain. La soirée s’organise en plusieurs temps, avec leurs thématiques et leurs humeurs. Le concert s’ouvre avec des œuvres religieuses —cadre oblige, surtout à cette heure vespérale, quand le soleil couchant filtre à travers les vitraux de la Sainte-Chapelle. Susan Manoff ouvre la cérémonie, avec un choral de l’Orgelbüchlein (petit livre d'orgue) : “Ich ruf zu Dir, Herr Jesus Christ” (Je t’appelle, Seigneur Jésus-Christ), qui se fond dans une composition de Samuel Barber, The Crucifixion (1953), accompagnée par Christian-Pierre La Marca, et alors, la voix de Patricia Petibon retentit dans l’église. L’entrée en matière se fait avec la subtilité d’une invocation, au vibrato atténué. Le chant est expressif avant tout le reste, les pleins moyens venant à la fin du morceau, quand la soprano se jette dans des fortissimi suaves où la voix semble d’autant plus puissante qu’elle gagne les cimes.
Après cet égard fait au « maître des lieux », la soirée prend une tournure résolument plus profane : réunissant des mélodies de Fauré et de Satie, ainsi que des chansons espagnoles signées de Falla. Une section de la soirée est dédiée aux chansons de marins, une autre aux oiseaux.
Quel que soit le répertoire, Patricia Petibon l’habite pleinement. Elle vibre de la tête aux pieds, le corps s’anime, oscille, frisonne. L’artiste a plus d’un tour dans son sac, maniant les accessoires telle une magicienne ambulante. Dans la table d’harmonie du piano, elle « trouve » une draperie brillant comme les fonds marins dans les histoires de sirène, juste avant de chanter une Chanson Bretonne de Jean Cras. Elle revêt un chapeau haut de forme pour faire le récit piquant des « Gars qui vont à la fête » de Poulenc, régalant les ouailles réunies dans la Sainte-Chapelle, à grands renforts de mimes ribaudes – « Quelle offense à Dieu le père, il le lui pardonnera », comme aurait dit si joliment Barbara.
Elle s’accompagne d’un perroquet telle une ventriloque pour chanter Dona Janaina de Francisco Mignone, où elle fait même participer le public pour imiter le cri du volatile bavard. Et c’est sans compter le dernier pied de nez malicieux lors du rappel, quand elle demande si quelqu’un dans la salle porte des chaussettes blanches, fait venir l’intéressé sur scène... pour lui adresser une mélodie gentiment moqueuse sur les fortunes changeantes de la mode de la chaussette blanche.
La voix est en pleine forme, et les aigus de la colature sont décidément volatils et lumineux. Le timbre est clair, expressif, la ligne de chant agile, la technique toujours au service de l’émotion du morceau. Parfois, sur des piani, elle peut se rétrécir dans les graves, mais à d’autres moments de la soirée ces derniers résonnent à plein, chauds et mordorés. La mélodie française lui sied particulièrement, l’interprète insufflant à chaque air sa personnalité propre, ce qui en fait le sel, son humour ou sa mélancolie, l’un n’empêchant pas l’autre chez l’interprète émérite d’Offenbach.
Ses compagnons artistes ne sont pas en reste. Le toucher de Susan Manoff est fluide et délicat, accompagnant la chanteuse dans sa folie douce avec vivacité et tendresse, qu’elle conserve dans son unique solo, une mélodie de Yann Tiersen (Yuzin), en accord avec le thème marin très présent en cette soirée.
Le violoncelle de Christian-Pierre La Marca est comme une deuxième voix soliste (soulignant ici encore les correspondances entre cordes et cordes vocales), parfois accompagné par la pianiste, parfois accompagnateur de la chanteuse avec elle. Ses solos sont souvent des pendants aux œuvres chantées, comme lors de son Chant des oiseaux de Pablo Casals, où un savant pizzicato vient apporter sa propre addition au bestiaire volant, imitant un cri d’oiseau peu après que Petibon ait fait surgir un perroquet dans Dona Janaina.
Son jeu est caressant, infiniment tendre et attentif, même s’il sait se faire également plus tonique, dans une interprétation de la Folia de Marin Marais particulièrement acclamée par le public (l’unique incursion de la soirée dans le baroque).
Les trois artistes sont acclamés par des applaudissements copieux, une conclusion auspicieuse pour le premier concert de ce nouveau Festival qui invite dès ce premier week-end Patrizia Ciofi puis Gaëlle Arquez. Et quatre autres week-ends musicaux suivront après celui-ci. Quant à Patricia Petibon, elle sera de retour avec Susan Manoff, le 8 juin à l’Auditorium du Musée d’Orsay.