L’Homme et le Sacré en Musique aux Invalides
Christine Dana-Helfrich, Conservateur en chef du patrimoine et chef de la Mission musique au Musée de l'Armée, nous présentait en même temps que cette saison 2022/2023, les six concerts qui forment ce cycle “L’Homme et le Sacré” : dans toute leur importance et toutes leurs résonances avec ce lieu des Invalides, ses missions et son histoire (telle qu’elle continue de s’écrire). Ce cycle musical viendra en effet déjà résonner avec l’exposition consacrée par l’institution aux guerres de religion (au Musée de l’Armée du 5 avril au 30 juillet).
Le cycle s’ouvrira d'emblée (le lundi 3 avril à 12h15 au Grand Salon) sur un dialogue entre les cultures artistiques protestantes et catholiques (le programme soulignant respectivement le lien de Bach envers Luther, et la foi de Liszt qui le mena au seuil de la prêtrise). Bach et Liszt seront séparément au programme de ce concert, mais aussi ensemble, avec la Transcription pour piano réalisée par Liszt de la Fantaisie et Fugue pour orgue en sol mineur de Bach. Et l’autre transcription de Liszt au programme de ce récital interprété par Thom Poirier n’est autre que la “Grande fantaisie dramatique sur des thèmes de l’Opéra Les Huguenots de Meyerbeer” traitant donc directement des Guerres de Religion : “huguenots” désignant en France les protestants.
Le concert du jeudi 11 mai 2023 à 20h en la Cathédrale Saint-Louis des Invalides soulignera justement, encore et toujours les résonances reliant les différents concerts de ce cycle, car il proposera l’Ouverture de l’opéra Les Huguenots (dans un programme qui réunira également des pièces pour orgue de Bach et Buxtehude, ainsi que des pièces orchestrales et religieuses de Poulenc : une nouvelle occasion d’inviter les habitués des lieux que sont le compositeur Thierry Escaich -ici à l’orgue-, l’Orchestre et Chœur de Paris Sciences et Lettres).
Le concert du 5 juin 2023 sera même l’occasion pour Dominique Visse (lui aussi habitué des lieux) de remonter à ces origines des conflits entre chrétiens avec son Ensemble Clément Janequin dans la Salle Turenne : son concert s’intitulant “Papegots et Huguenots”.
Psaume des batailles
« Huguenots et Papegots (partisans du pape catholique) est une phrase dans l'une des chansons au programme, je l'ai trouvée parfaite pour le titre », nous raconte Dominique Visse qui poursuit les présentations : « Ce programme est une demande du Musée de l'Armée des Invalides, au sujet donc donc des guerres de religion, une thématique sur laquelle j'avais déjà travaillé, mais que j'ai dû et pu ainsi approfondir, en allant jusqu'au bout de mes recherches et propositions : c'était énormément de travail mais très excitant. C'est aussi l'occasion de poursuivre l'aventure avec cette institution où nous avons donné une demi-douzaine de concerts depuis fort longtemps, avec des thématiques proches de ce lieu (nous avons fait des programmes autour de la Messe La Bataille de Clément Janequin, ou sur la Messe L'Homme armé, notamment).
L'enjeu était ici (pour cette thématique) de construire un programme qui ne soit pas trop "lourd", qu'il soit aussi réjouissant à entendre, et qu'il propose une variété dans les tempi et les distributions. Cela semble certes compliqué car les œuvres qui traitent de ce sujet difficile que sont les guerres de religion ont plus tendance à être larmoyantes que joyeuses !
Mais j'ai pu réunir un programme varié avec des pièces qui n'ont jamais été faites, grâce au truchement du contrafactum [pratique consistant à employer une musique connue en lui appliquant un autre texte, ndlr], pratique répandue à la Renaissance.
Le programme se découpe en quatre parties qui retracent ainsi l'Histoire : la première est consacrée aux Psaumes et à l'arrivée de la Réforme (protestante), les Invalides nous ayant demandé en toute logique de chanter le fameux psaume important pour les réformés : le Psaume 68, Psaume des batailles (revendicatif par rapport à la guerre qu'ils doivent mener). Ce psaume était assez facile à trouver car il existe chez Goudimel et d'autres compositeurs mais les Invalides nous ont aussi demandé de trouver le pendant en latin. Or le texte existe mais je n'ai pas trouvé de musique, j'ai donc choisi un psaume de Josquin des Prés (Cantate Domino) en collant le texte du psaume sur cette musique. Cela fonctionne très bien. Nous avons énormément utilisé le "contrafactum" dans le programme, car nous disposons de "Bibles" (dans le sens de recueils) ou chansonniers Huguenots, avec des textes, des poèmes sur les guerres, sur leurs revendications religieuses, contre la religion catholique, etc, tout comme les recueils catholiques le font contre les protestants. Or, dans ces recueils, certains textes citent aussi leur "timbre" : l'air sur lequel le texte doit être chanté.
D'ailleurs la Réforme et cette guerre de religion est aussi liée à la diffusion de l'imprimerie.
La deuxième partie du programme est consacrée aux protestations : aux "guerres de mots", d'idées, pas encore sanglantes entre catholiques et protestants. Cette partie est assez joyeuse, avec de la critique mais beaucoup de jeu. Même les "Réformés" qui passaient pour des gens austères avaient avec eux des petits livres, de petits recueils de poèmes assez caustiques et drôles. Ces chansons/protestations spirituelles de l'un contre l'autre, de l'autre contre l'un mènent à une partie plus profonde : la troisième, que nous appelons La Controverse. J'ai retrouvé des chansons faisant dialoguer Luther et le Pape (chacun plaidant pour sa paroisse). Ce sont des chansons existantes avec des contrafactum que j'ai retrouvés : la première chanson fait parler le pape, la seconde fait parler Luther, la troisième les fait parler ensemble.
La quatrième et dernière partie du programme est vraiment consacrée à la Guerre de Religion à partir des années 1575, où la situation devient vraiment tragique. Un des textes que j'ai retrouvés et remis sur une musique qu'il cite traite ainsi de la Saint-Barthélemy.
Ce programme donne la parole aux uns et aux autres sans aucun parti pris, dans un dialogue à la fois profond, spirituel, philosophique et aussi joyeux. Les catalogues de textes dans ces bibles sont parfois très poétiques et littéraires, parfois presque païens, avec des vers écrits sur le coin d'une table, pas toujours de bon aloi (un pied qui manque par ici ou en trop par là : car ils n'en avaient que faire). Nous les rendrons bien entendu dans leur pureté, tout en étant le plus intelligible possible afin d'associer le public dans notre cercle musical.
Dans la Renaissance, les textes sont généralement très directs (l'érotisme l'est franchement, l'amour l'est directement, la poésie l’est magistralement : qu'on pense à Rabelais, Ronsard). Les mots ont parfois des double ou triple sens mais ils sont très directs, ils peuvent être très simples, quotidiens ou bien avoir un texte plus peaufiné pour faire parler le pape. On peut parler le françois comme on l'entend, en inventant si besoin. Ce répertoire rend cette richesse de vocabulaire (y compris dans la douleur et le sanglant de la Saint-Barthélémy).
Nombre des artistes de cette époque et en l'occurrence de ces compositeurs sont dans une veine humaniste, se saisissent des nouveaux textes apportés par la Réforme (notamment les 150 Psaumes) même s'ils sont catholiques. La plupart de ces compositeurs écrivaient aussi bien des motets en latin que des psaumes en langue vernaculaire. Ils ont été victimes des guerres de religions et ont dû se cacher à la fois des uns et des autres. Goudimel a même été assassiné à Lyon en raison de ses attirances pour la Réforme, Claude le Jeune a dû se réfugier à La Rochelle mais écrivait aussi pour les catholiques. Quelle que soit leur religion, ces compositeurs avaient un respect les uns pour les autres et ne voulaient pas importer la guerre dans le monde poétique et musical. Je pense même que leurs travaux, loin d'être une dissension, ont été un trait d'union, entre les compositeurs et les confessions. »
Le concert refermant ce cycle, le lundi 12 juin 2023 à 20h, également dans la Salle Turenne invitera également des compagnons artistiques de la saison musicale des Invalides à faire résonner poèmes, psaumes et chansons transposant -et donc sublimant- les batailles religieuses et politiques sur le terrain artistique : l'Ensemble La Rêveuse dirigé par Benjamin Perrot et Florence Bolton, avec notamment Eugénie Lefebvre et le metteur en scène Benjamin Lazar en récitant.
La Légende des Siècles
La musique s’affirme ainsi comme un vecteur de dialogue et d’humanisme, entre poésie et musique, à travers les confessions et les cultes, par la culture. Et justement c’est un sommet d’humanisme séculaire et séculier qui est au programme le jeudi 1er juin 2023 à 20h dans la Cathédrale Saint-Louis des Invalides : La Légende des Siècles de Victor Hugo, dont le compositeur en résidence aux Invalides, Marc-Olivier Dupin, a tiré un mélodrame. L'occasion d’allier la dimension sacrée-spirituelle avec celle d’un monument sacré, et même de plusieurs : les Invalides et Victor Hugo. Au sujet du lieu, Marc-Olivier Dupin nous confie d’ailleurs : « Quand j’étais jeune homme, j’ai vu Bernstein diriger et enregistrer le Requiem de Berlioz aux Invalides. C’est très impressionnant. » Quant au sujet de Victor Hugo, le compositeur s’exclame bien naturellement : « C’est un colosse, un titan. Ce qui est magnifique dans son œuvre est cette énergie au service de l’humain, de la non-violence, de la justice. Il y a une quête d’une force extraordinaire dans ce texte. C’est une source d’énergie phénoménale pour mon travail. Ruy Blas, dans la pièce de Hugo, dit qu’il se sent comme “un vers amoureux d’une étoile” : c’est ainsi que je me sens vis-à-vis de La Légende des siècles.
Le texte me semblait très bien entrer dans la thématique du Musée de l’Armée sur "L’Homme et le sacré", par son universalité et ses enjeux philosophiques et historiques. Je n’ai en tout cas pas forcé mon travail pour le faire entrer dans la thématique, qui rejoint des thèmes hugoliens. »
Mais face à une telle œuvre, un sommet pareil, difficile de savoir par où commencer. Alors là aussi, le projet a commencé par les liens tissés avec les forces vives des Invalides, comme nous le raconte Marc-Olivier Dupin : « Le projet est né de conversations avec François Boulanger, le chef de l’Orchestre de la Garde Républicaine, que je connais depuis longtemps. Nous avions imaginé de longue date l’idée que j’écrive une pièce pour la formation d’harmonie [principalement instruments à vent dont saxophones, contrebasses, harpes et percussions, ndlr] : l’idée m’intéressait vraiment beaucoup. Avant le Covid, je lui ai dit que ce n’était pas mon truc de composer des pièces uniquement instrumentales et que je préférais travailler sur une œuvre en lien avec un texte ou une image. Je me suis orienté sur un grand texte de la littérature française après avoir beaucoup travaillé ces dernières années sur d’autres sources comme des bandes dessinées de Joann Sfar ou Le Petit Prince : j’ai finalement choisi La Légende des siècles de Victor Hugo. L’œuvre entière demanderait des heures de lecture publique, j’ai donc proposé à François Boulanger et à Christine Dana-Helfrich [en charge de la programmation musicale des Invalides, ndlr] de travailler sur des fragments. J’en ai choisi une trentaine : il y aura ainsi dans la pièce une trentaine de mouvements courts (d’une à quatre minutes).
J’ai fait des choix subjectifs, qui impliquent des renoncements à beaucoup d’autres extraits. L’œuvre de Victor Hugo est très composite : il aborde beaucoup de choses. J’ai pris les fragments dans la chronologie, en écartant les références trop lointaines, qui ne sont plus dans la culture classique (même si j’ai dû garder une référence au personnage mythologique d’Ixion dans un vers dont j’avais besoin). J’ai choisi des extraits qui me parlaient et qui pouvaient parler au public. J’ai souhaité rester accessible.
Comme il y a des atmosphères différentes dans le texte, j’ai cherché à composer musicalement des ambiances variées. Ma musique est souvent assez illustrative par rapport au texte, ce que j’assume pleinement. Par exemple, pour un texte avec des enfants qui jouent, avec une très belle naïveté, j’ai écrit une musique assez enfantine. Il y a aussi des passages plus en force, sur la guerre par exemple, ainsi que des musiques plus distanciées.
J’ai assisté à des répétitions de l’Orchestre d’harmonie de la Garde Républicaine car c’est un instrumentarium très nouveau pour moi. J’ai beaucoup composé pour orchestre symphonique mais j’ai dû beaucoup apprendre pour m’adapter à cette formation, en écoutant et en analysant la facture de partitions existantes. Ce ne sont pas les mêmes équilibres que dans un orchestre symphonique. Il y a 82 musiciens, beaucoup de familles d’instruments, et donc beaucoup de portées sur la partition. C’est une aventure extraordinaire du point de vue de l’écriture. J’ai cherché à donner à chaque fragment une certaine couleur instrumentale : j’ai presque pensé la chose comme un concerto pour orchestre, dans lequel des solistes se distinguent. Toutes proportions gardées, cela peut ressembler à un énorme Concerto brandebourgeois. C’est un travail énorme, plus long que d’écrire un opéra. Pourtant, j’écris vite. J’ai commencé à travailler sur les textes avant l’été dernier. J’y ai passé un nombre d’heures que je ne saurais pas compter, il me reste un nombre d’heures à travailler que je ne saurais pas compter. C’est comme gravir une très haute montagne. J’ai d’abord écrit ce qu’on appelle un monstre : une partition pour piano sur plusieurs portées, qui pose le discours musical. Je suis maintenant dans une phase d’orchestration. J’ai deux séances de travail avec l’Orchestre : c’est une course contre la montre pour être au plus prêt d’une version achevée pour ces séances. J’ai aussi montré mon travail à François Boulanger qui a pu répondre à mes questions. Enfin, le logiciel sur lequel je travaille, Sibelius, permet d’entendre des sons (de synthétiseur, certes), ce qui aide à évaluer les équilibres et à voir comment le texte s’insère sur la musique. De même, cela permet d’entendre tout de suite si un bécarre ou un dièse a été oublié.
Quelques courts passages sont mesurés. Le récitant, Guillaume Marquet, lit très bien la musique. Sur le reste, je le laisse très libre : les couleurs de la musique l’aideront à se placer.
François Boulanger m’a également demandé de faire une version de la partition pour formation réduite, afin que cette pièce puisse être redonnée plus facilement. J’ai la chance que mes œuvres parviennent à avoir des carrières : Le Chat du rabbin vient par exemple d’être joué 15 fois avec l’Opéra de Rouen dans différentes communes de Normandie, Le Petit Prince tourne beaucoup, mes ciné-concerts sur les films de Buster Keaton sont très repris,...»
La saison musicale des Invalides sert ainsi un message humaniste en donnant une voix aux répertoires de toutes confessions et à travers les siècles, depuis la musique dite “ancienne” jusqu’aux créations mondiales comme cette œuvre trempant sa plume musicale dans l’encrier poétique de Victor Hugo. Il en va ainsi pour les œuvres qui se préparent un avenir mais il en va de même pour leurs interprètes, cette nouvelle pièce de Marc-Olivier Dupin étant également l’occasion de rappeler les liens qu’il a tissés en tant que Directeur du CNSM alors, avec les Invalides, où Christine Dana-Helfrich veille à toujours accueillir les jeunes artistes en voie de professionnalisation (notamment via le programme Jeunes Talents - Premières Armes).
Luminarium
Ce cycle L’Homme et le Sacré sera l’occasion d’assister non pas à une mais à deux œuvres contemporaines toutes deux nommées “Fragments” et toutes deux signées d’un compositeur en résidence aux Invalides, avec l’Orchestre de la Garde Républicaine, dans la Cathédrale Saint-Louis. En effet, le programme du mardi 23 mai 2023 culminera avec Luminarium, concerto pour clarinette et orchestre en 27 Fragments de musique du monde, signé Kryštof Mařatka. « C’est la première fois que ma musique sera jouée à la Cathédrale, les précédents concerts ayant eu lieu au Salon d’Honneur», explique l’intéressé qui rappelle combien « Une résidence de compositeur est toujours bénéfique car nous pouvons aller plus en profondeur dans la rencontre avec le public. J’ai commencé par projeter un film que j’ai tourné sur mon histoire et celle de l’Europe centrale, il y a eu un concert de musique de chambre, ce Luminarium, et nous aurons un autre concert de musique de chambre pour la fête de la musique le 21 juin dans le salon d’honneur des Invalides. »
L’œuvre s’intègrera dans un programme musical traversant les siècles et les confessions en compagnie de Josquin des Prés, Paschal de L’Estocart et Palestrina (incarnant la Réforme et la Contre-Réforme) puis la première composition d’une musique pour un film : celle signée en 1908 par Camille Saint-Saëns sur L’Assassinat du duc de Guise (une autre page cruelle des Guerres de Religions).
Après ce voyage à travers les siècles, c’est donc un voyage à travers les continents que présentera Kryštof Mařatka : « Luminarium est une commande de la maison Selmer (un fabricant de clarinettes) pour le clarinettiste Michel Lethiec, qui a été créée en 2002. Il s’agit d’un voyage autour de la Terre en 30 minutes, le sous-titre de cette œuvre étant “vingt-sept fragments de musiques du Monde”. Je m’intéresse depuis longtemps à la musique traditionnelle Tchèque (mon pays d’origine) ce qui m’a amené à l’étude de la musique populaire, qui se transmet de génération en génération. Puis j’ai étudié la musique ethnique dans le monde entier. J’ai cherché à comprendre d’où me vient cette nécessité de la musique, de l’art et cela m’a emmené jusqu’aux origines de l’art, jusqu’à l’art et aux instruments préhistoriques. C’est un sujet très vaste qui m’inspire depuis toujours et qui se reflète d’une manière ou d’une autre dans beaucoup de mes œuvres. Luminarium est la pièce clé, qui a déclenché cette passion. J’ai réalisé que les musiciens de musique classique occidentale baignent dans un espace qui a ses lois, ses règles et ses limites, et qu’il y a d’autres expressions musicales qui existent dans d’autres pays, et qui sont aussi fascinantes, sophistiquées et belles. J’ai voulu montrer cet infini de l’imaginaire musical de l’Homme.
J’ai décidé de composer une œuvre qui ne soit pas dans un langage musical unique, comme c’est le cas habituellement, où l’on recherche une cohérence au sein d’une œuvre. Là c’est le contraire, je voulais montrer les différents styles et les différents langages d’écriture. L’œuvre est ainsi composée de 9 mouvements et chaque mouvement présente trois pays, trois cultures, soit 27 pays des cinq continents. Il y a de la musique tonale, atonale, pentatonique, avec des micro-intervalles : beaucoup de langages se côtoient. La partition n’est pas organisée de manière géographique mais en rassemblant au sein d’un mouvement des musiques qui sont dans la même énergie. Le danger aurait en effet été que l’œuvre parte dans tous les sens : je devais trouver un moyen d’inscrire une cohérence au sein de chaque mouvement.
Ce n’est en fait presque pas ma musique : j’ai passé des mois à la Bibliothèque Georges Pompidou, à Beaubourg, à écouter des enregistrements de musiques ethniques du monde entier et à retranscrire ce que j’entendais, car il n’existait pas de partitions : la musique populaire ethnique se transmet d’une personne à l’autre. J'en ai transcrit des centaines, et j’en ai sélectionné 27, qui étaient les plus marquantes, les plus caractéristiques, les plus séduisantes. J’essaie de reproduire, avec la clarinette qui sert de guide dans ce voyage et avec l’orchestre, des sonorités, des rythmes, et l’ensemble des paramètres musicaux que j’ai entendus.
L’effectif était déterminé dans la commande. Il est assez simple : des cordes, un quintette à vent et des percussions, en plus de la clarinette solo. C’est une œuvre pratique à faire tourner car il n’y a pas besoin d’un grand effectif. C’est du coup l’une des pièces les plus jouées de mon catalogue. Elle a été jouée dans une trentaine de pays, par une dizaine de solistes. Je l’ai dirigée, mais d’autres chefs l’ont adoptée également. Elle a beaucoup vécu, a été enregistrée deux fois avec à la clarinette Michel Lethiec, qui est à la fois l’initiateur et le dédicataire de l’œuvre. C’est un défi de ne pas avoir un grand effectif : il faut explorer toutes les possibilités offertes par chaque instrument.
Le clarinettiste Chen Halevi assurera la partie soliste : un orchestre français jouera la musique d’un compositeur tchèque avec un soliste israélien. C’est totalement dans le sens de Luminarium.
La musique et le sacré sont liés depuis l’aube de l’humanité car la musique accompagne les rituels. Beaucoup des musiques que je reprends sont ainsi des musiques de rituels. Luminarium est donc bien une œuvre qui parle des hommes, où qu’ils soient, et du sacré. »
Rendez-vous est donc pris pour ce sacré cycle de la Saison Musicale à l'Hôtel national des Invalides ces 3 avril, 11 et 23 mai, 1er, 5 et 12 juin 2023.
Retrouvez également nos présentations des cycles précédents :
Les compositrices à l’honneur aux Invalides
Écho à l'Exposition “Photographies en guerre”
350 ans de l’apothéose musicale sous Louis XIV
Fêtes Galantes musicales pour le Tricentenaire Watteau
ainsi que notre plongée Dans les coulisses des Invalides : la construction d’une saison musicale originale