À Clermont-Ferrand, une Turandot se fait un nom
L’histoire est connue, celle d’une princesse inflexible se refusant à aimer et qui soumet ses prétendants à de complexes énigmes à trois inconnues, dont un étranger finit un beau jour par percer les mystères. Alors l’amour triomphe et scelle l’union des deux amants dans l’allégresse générale. Une intrigue d’une incontestable limpidité et nourrie par bien des airs fameux, pour une œuvre qui attire toujours le public : c’est le cas ici à Clermont-Ferrand, qui doit délocaliser les deux représentations prévues vers la Maison de la culture, à la capacité d’accueil bien plus large que le plus intimiste Opéra-Théâtre. C’est donc sur scène qu’il faut en l’espèce chercher les dorures.
La mise en scène du Vénézuelien Aquiles Machado, les décors et costumes (signés de l’Italien Alfredo Troisi) ne laissent guère de place au doute. Nous sommes bien là en pleine Chine impériale, dans un environnement fastueux, avec de grands escaliers venant entourer un trône sur lequel veillent de terrifiantes têtes de dragons. Les personnages brandissent sabres et éventails, affublés de chapeaux coniques et de coiffes exubérantes pour ces dames, avec de longues robes à motifs de dragon et aux épaulettes chevaleresques : tout concourt ainsi à décrire une Chine digne des grandes heures de dynasties d’antan, où vient s’inscrire une trame dramatique marquée par le mouvement permanent (traduisant une direction d’acteurs méticuleuse) et par des lumières qui savent se faire aussi vives que discrètes à l’heure, bien sûr, où personne ne doit dormir.
Dans ces costumes majestueux qui ne laissent dépasser qu’un visage à la mine longtemps grave, la soprano française Chrystelle di Marco déploie, dans ce rôle-titre endossé pour la première fois en Espagne le mois dernier et dans lequel elle revient avec cette mise en scène à l'Opéra de Massy dans deux semaines, une voix ample et toujours savamment vibrée, mobilisant à bon escient la puissance sonore de son instrument pour dépeindre un personnage à la froide et infaillible rigueur. Avec ses aigus pénétrants et sa ligne vocale à la constante expressivité, cette Turandot est totalement habitée par l’investissement dramatique de son rôle.
Avec son armure en cotte de maille et ses cheveux tressés, le ténor espagnol Eduardo Sandoval est un valeureux Calaf, sa voix au coffre puissant se déployant dans une belle largeur de tessiture. Le « Nessun Dorma » est accompli avec toute la bravoure requise, les demi-teintes en début d’air contrastant avec la montée vers l’aigu où l’émission perd quelque peu en fluidité et naturel pour venir chercher un « Vincero » en retentissante sonorité.
La Liù de Francesca Bruni est une belle découverte (ou redécouverte, cinq ans après Le Barbier à Massy), la soprano italienne usant d’une voix souple et homogène sur l’étendue de la tessiture, au médium nourri, avec surtout cette manière touchante de jouer la désolation et le déchirement à l’heure du sacrifice. L’Ukrainien Viacheslav Strelkov met sa basse caverneuse et chaudement timbrée au service d’un appréciable Timur. Le jeune ténor sud-coréen Inheyong Hoang est un Altoum à la voix assurée et aisément projetée, mais au timbre déjà plus neutre. Avec son baryton assis sur un solide medium, Guillem Batllori, le fouet à la main, annonce efficacement en Mandarin la rigueur de la loi suprême. Le même reprend aussi le rôle de Ping, aux côtés des Pang et Pong de Yuanyuan Gong et Zelin Sun, qui n’ont pas à forcer leurs voix de ténor pour jouer de candeur en rêvant d’un monde où les mises à mort laisseraient place à des lacs bleus cernés de bambous.
À la tête de l’Orchestre Opera 2001, tout droit arrivé d’Espagne, le Slovaque Martin Mazik sait fait parler à ses musiciens une même langue : celle d’une expressivité à toute épreuve, avec des couleurs variées et des balances de nuances décrivant aussi bien la mort que l’amour et la rêverie. La tension jamais ne retombe et, entre fosse et scène, subsiste constamment une osmose à laquelle le Coro Lirico Siciliano prend aussi une part active, contribuant au succès d’un spectacle fort applaudi.