Théâtrale Carmen par Opéra Côté Chœur
La mise en scène situe l’action dans une contrée imaginaire, sous un soleil écrasant qui pourrait être celui d'un pays d’Amérique Latine avec ses favelas : représentées par l’utilisation de containers rouillés qui, suivant les actes, sont disposés de manières différentes afin de créer un nouvel espace, un nouveau décor. La mise en scène doit pourtant composer avec la configuration de cette salle et la taille de cette scène : le tiers de l'espace côté Jardin est occupé par l'orchestre, le reste étant pour l’action scénique.
Les décors d'Antoine Milian n'en sont pas moins simplement éloquents, présentant un alliage de cuivre (avec aussi quelques caisses en bois) et de filets de pêche (mettant les membres du chœur à contribution dans leur manipulation). Les costumes d'Isabelle Huchet sont tout aussi clairs, confrontant les tenues bohèmes et les costumes d’officiers, le rouge des camarades de Carmen et le bleu des compagnons de Don José. Carmen est bien entendu dépeinte en bohème avec plissés, foulard noué dans les cheveux tout de même lâchés et une multitude de bijoux.
Les accessoires s’inscrivent eux aussi dans cette esthétique et une démarche éco-responsable. L’ensemble des costumes proviennent de chez Emmaüs, les marionnettes et bijoux sont fabriqués à partir de matériaux de glanage.
Delphine Huchet, chorégraphe et danseuse (qui incarne ici la sœur de Carmen) propose une interprétation touchante par sa chorégraphie mêlant flamenco, danse moderne et butō (cette tradition née au Japon sous l'inspiration d'un trauma sociétal au XXe siècle).
Christophe Schaeffer vient animer le tout par un choix de lumière statique opposant teintes chaudes et froides, en rappel aux tenues.
Laeticia Goepfert incarne Carmen, dans l’attitude comme par la voix, occupant l’espace autant vocalement que scéniquement, laissant transparaître un large spectre d’émotions dans sa voix véhémente. Dotée d’un ambitus large, elle fait rayonner des guirlandes vocales tout en souplesse et agilité, charmant le public comme le fait son personnage. Un léger accent latin vient faire rouler les “r”, tandis que son timbre chaud et sa voix puissante renforcent encore les flammes de ce soleil scénique.
La Micaëla d'Amélie Robins se présente -comme il sied- comme un personnage aux antipodes de Carmen, mais non moins intense. La justesse de son jeu se reflète dans ses acuités vocales avec le grand lyrisme d’une ligne maîtrisée, soutenue par moments par les violons dans un timbre léger (le tout avec des vibratos perçants et éthérés).
Don José dévoile la voix du ténor Jean-François Marras, pleine d’élans vocaux, vibrante, résonnant dans les fins de phrases où il fait exploser une puissance inattendue. Malheureusement celle-ci ne se dévoile qu’à partir du deuxième acte, mais suit aussi une forme de logique dans l’évolution du personnage au fil de l’intrigue.
Le torero Escamillo d'Alban Legos courtise la belle Carmen par l’énergie de sa voix bien que certains graves soient éteints. L’articulation n'en permet pas moins une pleine compréhension du texte et le timbre de la voix sait sinon rester coloré et pétillant.
La mezzo Florence Alayrac et la soprano Roxane Chalard forment un duo très complémentaire dans les rôles respectifs de Mercedes et de Frasquita. La seconde offre une voix portante et pleine qui se fait remarquer dès les premières notes, quand la première se veut plus aérienne, délicate et claire.
Marc Souchet dans les rôles de Morales et du Dancaïre offre les qualités de son baryton aux sonorités feutrées et granuleuses, le coffre dont il dispose permettant une densité vocale lui donnant des airs autoritaires par moment. Accompagné du Remendado (Timour Sadoullaiev) dans la grande majorité de ses déplacements, celui-ci n’hésite pas à faire entendre son aspiration à la paresse dans une intonation claire, portante et consistante quoique lissée. Enfin, dans le rôle de Zuniga, Benoît Riou passionné par le répertoire du XIXe siècle, aborde son baryton d'une voix épaisse, élégante et profonde avec un volume modéré.
Le chef d’orchestre Jérôme Boudin Clauzel fait preuve d’une gymnastique détonante, alternant entre le contact avec l’orchestre et avec le plateau vocal (devant pallier la difficulté de ne pas avoir un contact simultané avec toutes les parties prenantes de l'œuvre). Bien que sa disposition sur le côté ne soit pas optimale, les départs sont donnés aux chanteurs avec deux manières différentes et claires : la première, à la baguette, la seconde avec la sur-articulation des paroles. L’orchestre, en effectif réduit, se contient quant au volume sonore de l’interprétation pour ne pas couvrir les voix et, bien que l’acoustique du Théâtre ne soit pas favorable, orchestre et chœur parviennent à transmettre l'énergie et les timbres emblématiques de ce titre incontournable. Le chœur (préparé par Antoine Terny) s’amuse de ces oppositions féminines et masculines régulières, sans exclure le travail des parties chantées à l'unisson. Tradition oblige, la production invite le chœur d’enfants voisin, du conservatoire du 13e arrondissement de Paris, à contribuer lors du premier acte à l'événement musical. Placés derrière le chef d’orchestre, ils font preuve de sérieux et de justesse ne se laissant pas impressionner par la salle qui leur fait face.
C’est une salle remplie de tous les âges qui assiste à cette soirée de 2h45, et montre sa reconnaissance à travers de longues minutes d’applaudissements, remerciant Carmen de les avoir fait voyager le temps d’un Opéra sous un chaud soleil d'Amérique Latine.
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