Faust fait coup double à l’Opéra de Vichy
Spectacle conçu voilà plus de trois ans puis finalement contrarié par la crise sanitaire, ce Faust a rattrapé le temps perdu : après trois représentations limougeaudes, dont une première très applaudie (notre compte-rendu), cette production arrive sur la scène de l'Opéra de Vichy dans un même élan de pas et de mouvements enfiévrés. Car toute la spécificité de cette production réside bien dans cette mise en scène faisant la part belle à la danse, chaque personnage étant doté d’un double venant donner corps et mouvement à ses tourments intérieurs. L’amour appelle l’étreinte, la douleur s’exprime en convulsions, la diablerie et la manigance se traduisent par des mouvements secs et brutaux, comme si les doubles dansants étaient ici et là gagnés par le démon.
Ainsi, trois heures durant, aux côtés de ces personnages dont ils composent un genre de reflet animé, les danseurs de la Compagnie "Sous la Peau" exécutent-ils avec brio et force élasticité la chorégraphie réglée au millimètre par Benjamin Lamarche et Claude Brumachon, affichant avec leurs binômes respectifs une complicité logiquement plus rodée encore que lors de la première limougeaude. Un regard, un geste discret, et voici que se met en route la mécanique bien huilée de ces incarnations à double tête qui valent d’apprécier à sa juste valeur la performance d’une troupe de jeunes danseurs aussi souples qu’endurants. Martin Mauriès, en feu follet vient ainsi rendre d’autant plus machiavélique ce Méphistophélès qu’il suit ici à la trace.
Un spectacle régi par le dédoublement
Cette chorégraphie est aussi rehaussée par le cadre sobre mais fort pertinent dans lequel elle se trouve exécutée : panneaux de bois modulables et troncs d’arbres tombés du ciel campent une nature gagnant en relief, avec en arrière-plan des projections d’images d’une nature bercée par le souffle du vent, quand un grand miroir déployé en milieu de scène permet tant de confronter les binômes à leur propre dualité que de former une barrière entre fantasme et réalité. Les costumes d'Hervé Poeydomenge dessinent toujours leur esthétique soignée au style très XIXème siècle, quand les lumières précises et contrastées de Ludovic Pannetier gagnent en noirceur à mesure de l’avancée de l’intrigue pour aboutir à une glaçante et hostile Nuit de Walpurgis teintée de noir et de rouge sang.
Ainsi va donc ce spectacle régi par le dédoublement, la danse d’un côté et le chant de l’autre, deux performances qui en l’espèce se font bien plus complémentaires que concurrentes, même s’il faut parfois résister à l’appel du mouvement pour mieux se concentrer sur des voix qui savent elles aussi jouer de souplesse et d’endurance. Julien Dran, à l’assurance déjà remarquée lors de sa prise de rôle-titre limougeaude, se montre une nouvelle fois à son avantage, notamment dans l’exécution de ces mouvements dansés réalisés en symbiose avec son double devenu complice. Surtout, vocalement, le ténor se montre pleinement épanoui, avec une amplitude sonore savamment lustrée par des nuances raffinées et un legato de velours. Là encore, le « Salut demeure chaste et pure » touche droit au cœur.
À ses côtés, le Méphistophélès de Nicolas Cavallier est toujours aussi saisissant de charisme et de puissance vocale, avec un engagement scénique traduisant le malin plaisir pris à jouer le tireur de ficelles et l’oiseau de mauvais augure.
La Marguerite de Gabrielle Philiponet est pareillement habitée par son rôle, avec ce timbre empli de fraîcheur et d’expressivité et cette émission tout en spontanéité offrant des aigus qui, notamment à l’heure de l’expiration finale, sont comme un déchirement.
Dans un registre proche de son Cherubin campé à Toulouse il y a peu, Eléonore Pancrazi se glisse encore avec tout l’allant de circonstance dans les habits de Siébel, rôle ici servi par un jeu tout en candeur et par une voix à la projection aussi vigoureuse que joliment nuancée au besoin.
De son timbre tout en chaude rondeur, et avec l’application dont elle est coutumière, Marie-Ange Todorovitch campe une irréprochable Dame Marthe, quand Anas Séguin, en Valentin, affirme une nouvelle fois son charisme scénique et la puissance d’un baryton ample et percutant. Thibault de Damas, enfin, prête à Wagner un instrument de baryton-basse charnu, qui méritera d’être réentendu dans un rôle plus exposé.
Succédant à Pavel Baleff à la direction de l’Orchestre de l'Opéra de Limoges, Chloé Dufresne se distingue par l’apport d’une touche bien plus introspective de la partition. Les tempi sont légèrement plus modérés et les contrastes de nuances, encore timides dans l’ouverture, se creusent par paliers progressifs pour déboucher sur un finale saisissant de puissance sonore. Mais pour n’avoir pu bénéficier que de quelques heures de répétition avec les instrumentistes et les solistes, la performance de la jeune cheffe ne peut que s’apprécier par son assurance et par une gestuelle toujours précise qui jamais ne faillit à l’instant notamment de corriger un bref décalage entre fosse et scène.
Quant au Chœur de l'Opéra de Limoges, qui lui aussi se plie avec discipline à quelques mouvements dictés par les metteurs en scène, il se fait une fois encore impeccable sur le plan de l’homogénéité sonore. C’est lui d’ailleurs qui conclut ce spectacle ovationné par le public vichyssois, qui en redemande déjà.