Jérusalem en Joie vers La Cité Bleue de Genève
Après le concert Roma emmené la veille à La Cité Université par le Directeur artistique de La Cité Bleue Leonardo García Alarcón et ses phalanges (notre compte-rendu), la Compagnie La Tempête de Simon-Pierre Bestion invite en l'Église Sainte-Thérèse de Genève à une enthousiaste pérégrination musicale œcuménique vers Jérusalem. Ce voyage allie “Prières, berceuses, danses, chansons d’amour et invocations” en une douzaine de langues, formant “un grand rituel vocal”. Ce voyage est en outre rehaussé par une scénographie de lumières longilignes (création de Marianne Pelcerf), disposées sur des piques, à hauteur d’homme, et traçant divers chemins de lumière dans cette très sobre église. Des projections de textes en hébreu notamment sont un peu atténuées par la lumière du jour encore présente à cette heure.
Les contrastes sont pleinement ceux des instruments, ce soir en petit nombre mais avec un souci de timbres précieux, entre orient et occident : un serpent et des cornets à bouquins (instruments à vent), une clarinette et un duduk, diverses percussions, tous joués avec entrain et chaleur par les musiciens. L’ensemble vocal (trois par voix) est homogène et équilibré, avec un souci de la prononciation manifeste, tout pénétré de la compréhension du propos (dans toute sa riche diversité). La virtuosité musicale s’apprécie dans la capacité à articuler les textes, les styles et les langages musicaux très divers. Ce grand souci d’interprétation se ressent aussi au travers de la ferveur et de la densité investies dans le son. La vocalité se déploie avec une efficacité naturelle du triple piano au triple forte. Le pupitre de basses, sonore et raffiné, confère un grand sentiment de spatialité, également modelée au gré des déplacements fréquents (procession initiale et conclusive, mais également dispositions diverses, dont celle, "immersive", qui consiste à entourer l’auditoire).
Le chœur est constamment présent, en bourdon ou en répons, dans les œuvres orientales et de manière plus attendue dans les œuvres de la tradition écrite occidentale.
Les solistes sont issus de traditions musicales orientales diverses, parfois orales. Georges Abdallah (pour les chants traditionnels arabes, melkites et byzantins) a une voix qui s’inscrit dans la tessiture du ténor, avec étendue dans les aigus. La voix n’est pas puissante, mais très bien projetée et audible. Le chant est constamment mélismatique, chaque note étant brodée, dans de longues phrases sinueuses mais sans ostentation : au service de la narration.
Milena Jeliazkova (pour les chants séfarades, bulgares, hébreux et arméniens) a une voix inscrite dans l’étendue du mezzo soprano. Sa voix est très incorporée, comme de tradition entre la Bulgarie et la Macédoine, mais également lumineuse. Le chant sait se faire sinueux, serpentin, très mélismatique aussi mais plus lent dans son déploiement. Une grande présence confère à sa voix un impact expressif particulier, dès la première pièce d’ailleurs, due à sa propre plume, une composition méditative en langue arménienne.
Le concert dégage ainsi un esprit forgé par l’implication de tous en un dialogue universel, sachant s’élever vers un déluge sonore tenu et sculpté par Simon-Pierre Bestion (qui signe également arrangements et mise en espace) en maître des tempêtes. Sa direction soutient la richesse et la finesse de cet esprit tout en nourrissant sa puissance, la direction se montrant constamment claire et sincère.
Ce dialogue orient-occident sonne ainsi comme une évidence, acoustique et spirituelle en cette église catholique, lui donnant tout son sens (“ecclesia catholicon” : assemblée universelle). Le public fasciné durant le concert suit les artistes dans cet univers, avant de les suivre littéralement pour finir en procession sur le parvis de l'église.