Offenbach alunit à l’Opéra Grand Avignon
À force de poursuivre son voyage grâce à cette co-production -de Génération Opéra et du Palazzetto Bru Zane-, Le Voyage dans la lune finit par ne plus être une œuvre si méconnue d'Offenbach (l'Opéra Comique de Paris en présentait d'ailleurs récemment une autre version et le Barokopera Amsterdam aussi).
Réduit à deux heures sans entracte (durant le travail en temps de restrictions sanitaires), le spectacle déborde d’inventivité, de fantaisie et de beaucoup d’humour. La mise en scène d’Olivier Fredj, réalisée ici par Florimond Plantier, place l’action sur un plateau de tournage, dans une mise en abyme omniprésente, surtout grâce au grand obturateur qui s’ouvre et se referme, mettant le public à la place du cameraman. L’obturateur fait place également à un écran affichant la Lune et le visage d’Offenbach, qui vient sourire au public lors des intermèdes, dans une claire allusion au film Le Voyage dans la Lune de Georges Méliès.
Cette idée de tournage d’un film est renforcée par la présence des danseurs-acrobates, représentant des techniciens et preneurs de son, ainsi que par la présence constante du réalisateur du film, qui passe sans cesse par là et remplace lui-même des acteurs manquants à l’appel. Les décors et costumes de Jean Lecointre et Malika Chauveau sont totalement excentriques et représentatifs de l’esprit évoqué par Offenbach, avec entre autres le roi V’lan dont la tête est enfermée dans sa couronne et le roi Cosmos à ce point empêtré dans sa physionomie lunaire qu’il en a obtenu le titre de roi de cet astre. Les costumes des femmes amusent pour mieux dénoncer l’idée d’une femme-accessoire, avec la femme pratique Popotte habillée en éponge, et la femme décorative Flamma garnie d’une lampe sur la tête...
Les lumières chaudes et les projections de Nathalie Perrier sont également très bien maîtrisées, permettant de créer de beaux effets visuels à contre-jour et de distinguer les paysages de la Terre et de la Lune, avec des sites terriens présentés en noir et blanc et des sites lunaires en jaune et bleu. Ses projections servent surtout à présenter des univers très contrastés : la Terre aussi industrialisée que la Lune est psychédélique avec ses formes étranges remplies de lignes et de trous (un vrai cauchemar pour trypophobes).
Le rôle travesti du prince Caprice qui rêve d’aller sur la Lune est incarné dans cette reprise par la mezzo-soprano Héloïse Mas. Sa voix est chaude et homogène, avec une touche veloutée très élégante, mais également large et puissante, avec des aigus soutenus et des graves captivants et profonds, le tout au service de son interprétation assurée et convaincante pour représenter facilement le caractère juvénile et indomptable de son personnage.
Sa voix se marie bien avec celle de Fantasia lors de leur duo, qu’elles chantent suspendues devant un fond coloré. Celle-ci, princesse de la lune, est incarnée par Sheva Tehoval. Elle captive l’attention du public (le faisant notamment rire de bon cœur) grâce à une interprétation grandement comique et théâtrale. Et son interprétation vocale est à la même altitude avec des vocalises d’une grande agilité, un timbre clair et riche, des trilles finement exécutés et des aigus étincelants.
La soprano Jennifer Michel interprète Flamma, avec une voix vibrante au timbre cuivré, et un aigu bien soutenu. Habillée en éponge, la Popotte de Marie Lenormand est vivace et très drôle. Elle accompagne son jeu d’actrice d’une voix de mezzo-soprano charnue et bien projetée.
Le baryton Matthieu Lécroart interprète le roi V’lan de manière très expressive et joviale. Il fait montre d’une voix ample et bien placée, avec une diction à l’aise dans le parlé comme le chanté (cependant, ses aigus sont un peu étouffés). Son homologue, le roi Cosmos (de la Lune), est interprété par le baryton Thibaut Desplantes tout aussi impliqué (et comique) dans son rôle, malgré son encombrant costume sphérique. Même s’il chante peu, il fait montre d’une voix charnue avec une belle projection.
Microscope (Eric Vignau), le grand expert métallurgique royal, et son acolyte sélénite, Cactus (Christophe Poncet de Solages), brillent surtout par leur jeu d’acteurs, se montrant tous les deux très dynamiques et investis dans leurs personnages. Ils ajoutent, bien évidemment, leurs timbres clairs dans les ensembles, mais sans se distinguer vocalement outre-mesure.
Le ténor Enguerrand de Hys interprète le Prince Quipass’parla… et une foultitude d’autres rôles. Il fait ainsi montre de sa polyvalence, jouant au directeur du film, un médecin, un astronome, une caissière, une hôtesse de l'air, parmi tant d’autres personnages. Si dans le jeu il va jusqu’à crier sur le chef d’orchestre, il chante d'une voix large et charnue, avec une bonne projection, surtout lors de son aigu final.
En plus de jouer les techniciens et plusieurs autres rôles du début à la fin du spectacle, les danseurs-acrobates (chorégraphie Anouk Viale) animent les intermèdes sur une chorégraphie circassienne.
Mais la star de la soirée, qui fait sourire tout le monde dans le public est, bien sûr, Okami, une border collie bien entraînée qui suit la troupe et qui a aussi un rôle dans ce spectacle, guidant le juge aveugle (son maître, Édouard Gameiro) et traversant le plateau en courant lors des moments de folie finale.
C'est la mascotte de notre Voyage dans la Lune, Okami, la petite Border Collie vous donne rendez-vous ce soir à 20h au Théâtre des Arts pour la dernière représentation de la comédie d'Offenbach ! https://t.co/PCOZDlqVmO pic.twitter.com/45w7hEwgDf
— Opéra Rouen Normandie (@operaderouen) 8 novembre 2022
L’Orchestre National Avignon-Provence est dirigé par le chef Yves Senn avec des gestes fermes et sobres, même lors des passages les plus dynamiques. Sa battue un peu lente par moments provoque quelques petits décalages qu’il parvient à corriger rapidement. La fosse accompagne alors le plateau avec précision et épaisseur la plupart du temps (sans oublier quelques effets sonores et une petite reprise de la Barcarolle, des Contes d’Hoffmann). Le Chœur de l’Opéra Grand Avignon, dirigé par Aurore Marchand, offre unité sonore et effet de groupe, malgré quelques petits passages où leur texte est légèrement inintelligible. Il rajoute, bien évidemment, l’énergie et le dynamisme qui leur sont coutumiers.
Le public enthousiaste ne mesure pas ses applaudissements et remercie les artistes longuement, les faisant revenir plusieurs fois. Le chef remercie à son tour le public avec un petit passage musical et, une deuxième fois, Il neige… Il neige.