Wonderful Town de retour à l'Opéra de Toulon
Passionné tout particulièrement par les comédies de Broadway, Olivier Bénézech opte pour une mise en scène à l’image de la “Big Apple” : cette ville de New York et son industrie du divertissement, où se rendent ici deux sœurs éblouies par le rêve américain. Les disciplines se croisent comme les destins, les espoirs et les désillusions, les danseurs se mêlent aux chanteurs dans ce spectacle entièrement interprété en anglais (avec sur-titrage en français), tout ce beau monde cohabite dans l’espace scénique sans pour autant perturber la trame narrative. Les actions se déroulent tantôt à l’unisson occupant toute la scène avec une multitude de protagonistes, tantôt de manière mosaïque avec plusieurs actions se déroulant en simultanés sur le plateau, accompagnant l’action principale mais sur des plans différents. Ce mécanisme renforce l’affirmation du contexte mais aussi, dans certaines situations, l'accompagnement de l’expression des sentiments déployés en dansant (chorégraphies signées Johan Nus qui mélange hip-hop, break dance, danse classique, rumba et même cabaret pour ce voyage dans ce pays aux influences culturelles diverses). Les arts et les disciplines se mélangent mais des passages exclusivement dansés incluent également les chanteuses et chanteurs.
Luc Londiveau qui connaît bien ce plateau toulonnais, propose en sa qualité de scénographe, des décors (réalisés par l’Opéra de Toulon) représentant la ville de New York. Il utilise entre autres, afin de segmenter l’espace, une réplique de la chambre des sœurs en faisant comme des poupées à taille humaine, qui sera déplacée entre la scène et les coulisses, le tout dans un univers réaliste-moderne (avec lumières, enseignes, ordinateurs, mobilier, pancartes aux sujets d’actualités).
L’utilisation d’un grand écran en fond de scène soutient les changements d’espace par des projections de décors et des animations, renforçant les repères spatio-temporels. Les vidéos de Gilles Papain trouvent ainsi pleinement leur place dans cette histoire (quoique les changements de plateau sont à ce point réguliers qu'ils peuvent désorienter le spectateur, mais certes comme le touriste débarquant à New York).
Les lumières (Marc-Antoine Vellutini) animent également le résultat, par le mouvement de plusieurs poursuites. Les différentes couleurs utilisées marquent à la fois les différents moments de la journée mais aussi les différentes humeurs et atmosphères, avec une prédominance pour des teintes bleutées. Les couleurs sont aussi celles des costumes de Frédéric Olivier, dépeignant lui aussi un New York des années 1950 mais aussi moderne.
Ruth Sherwood est interprétée par la chanteuse québécoise Jasmine Roy, bien connue dans ce répertoire (et pour avoir été coach à l'émission télévisée Nouvelle Star). Elle module aisément sa voix, d’un lyrisme déployé à une sonorité plus soul. Son timbre chaud est parfois rauque, mais toujours puissant et porté par sa technique agile avec une articulation modèle (autant dans le chant que dans les dialogues).
Kelly Mathieson offre au rôle d'Eileen Sherwood ses qualités de soprano mais aussi de danseuse, et de comédienne, complétant ainsi ce duo de sœurs surdouées dans une complicité complète. Elle allie et synchronise les différentes disciplines avec un naturel déconcertant. Sa voix fluette est maniée avec souplesse, agilité, via des consonances quelque peu nasillardes par moments mais pour mieux surprendre dans des éclats suraigus.
Maxime de Toledo incarne le rôle du prince charmant Robert Baker avec une voix qui s’y prête. Son vibrato puissant soutient un timbre chaud, rond, ample et noble. Dalia Constantin (soprano) et Thomas Boutilier (baryton) forment le couple Helen et Wreck. Dans une romance légère, le premier campe la caricature d'un Américain revanchard projetant et faisant éclater des couleurs claires. La seconde en fait autant avec une voix aussi claire et dynamique que son rôle, ses humeurs étant ponctuées d'éclats cristallins.
Bien que le rôle de la mère d'Helen, Mrs Wade ait un certain âge, sa voix porte puissamment avec Ariane Pirie qui exacerbe son côté comique, encore renforcé par sa rencontre avec l'amant de sa fille.
Scott Emerson qui interprète quatre rôles dans cette œuvre (Speedy Valenti, le guide, le deuxième éditeur & Shore Patrolman) met son agilité et tous ses soins à moduler sa voix, au point de devenir méconnaissable d'une incarnation à l'autre (autrement que par sa ductilité).
Max Carpentier dans le rôle de Chick Clark porte la veste du bad boy comme un gant. Son chant coloré et libre vient s'affronter avec son rival pour l’amour d'Eileen : Frank Lippencott (Sinan Bertrand jouant de son timbre mais avec une musicalité plus mesurée, lyrique-retenue). Franck Lopez (Lonigan) accompagne son chant d'une déclaration aux élans d’amour irlandais chaleureux et tendre. Sa ligne vocale fluctue sans empêcher la compréhension du texte. Joe Shovelton (Appopolous & le 1er éditeur) partage un timbre clair, dans une tessiture aiguë, inattendue et appréciée. Sabrina Giordano (Violet) sait mêler avec aisance le chant, la danse et le théâtre.
Les chanteurs sont équipés de sonorisation par micro mais surtout pour leur permettre de modérer leur puissance sonore en maintenant la dynamique chorégraphique. Le chœur s’exprime pleinement et de manière acoustique, ajoutant un effet de foule à l’action, illustration de la mégalopole Américaine.
Les phalanges Toulonnaises sont dirigées par un fin connaisseur de ces répertoires, Larry Blank (qui dirigeait aussi la production de 2018). Sa conduite souple invite les instrumentistes à dialoguer entre leurs swings, leurs timbres et avec le plateau. Les cuivres sont présents et perçants, tandis qu'un piano avec des parties solo rappelle le piano bar souligné par des rythmes jazz, interludes latino et couleurs rag'.
C’est sur ce tableau du New York de 1935, revisité par Bernstein en 1953 et présenté par l'Opéra de Toulon pour cette deuxième fois en 2023 que se conclut cette soirée pleine de voyages, d’émotions et de rêves dans une salle pleine où petits et grands applaudissent avec un grand sourire de satisfaction dessiné sur les visages.