Bastarda II, royale suite et fin tragique à La Monnaie
Retrouvez notre compte-rendu de Bastarda I, le précédent épisode
Porté par la musique de Donizetti retravaillée par Francesco Lanzillotta, la mise en scène signée Olivier Fredj et les costumes fastueux de Petra Reinhardt, Bastarda plonge dans la vie d’une reine tiraillée entre ses éminentes fonctions publiques et les déboires de sa vie privée.
Les quatre opéras consacrés par Donizetti aux Tudors (Anna Bolena, Maria Stuarda, Roberto Devereux et le souvent oublié Élisabeth au château de Kenilworth) sont remaniés, tant sur le plan de l'histoire que musical. La nouvelle trame narrative opère une sélection du matériau original en conservant les moments-clés, ici particulièrement concentrés vers une fin psychologie tragique de la souveraine (malade, délaissée en amour, visitée par les fantômes du passé). Des recompositions musicales à la manière de Donizetti mais aussi avec de longues tenues et des inspirations atonales servent à relier les extraits, mais l'enchaînement d'épisodes d'une vie si longue et intense frôle parfois l'effet de zapping.
Till death do us part - Jusqu'à ce que mort nous sépare
Cette quête de résonances entre le passé et le présent se ressent ainsi à la fois dans la trame narrative mais également dans la musique, opus hybride au carrefour des temps. Francesco Lanzillotta dirige également l’Orchestre Symphonique de la Monnaie avec une certaine souplesse, incitant à la précision des cordes et vers une finesse qui, comme son intervention sur la partition, rend justice à la musique choisie de Donizetti.
La mise en scène de Bastarda II quitte progressivement les fastes du Château de Westminster afin de joindre la folie dans son univers toujours plus burlesque entouré de miroirs et de collerettes : luxe et beauté frôlent absurde et vacuité. Bastarda II sonne le terrible glas d’un règne qui laisse place à une musique pourtant sensible.
Les fruits de plusieurs années de travail reporté par le Covid viennent d'ailleurs résonner avec la récente disparition de la lointaine successeure, la seconde reine Elizabeth, ainsi qu'avec les déchirements du pays, ou la série The Crown.
La production lyrique avait été remplacée en temps de confinement par un diptyque semi-scénique en streaming (The Queen and her Favourite et The King and his Favourite) qui rassemblait alors une grande partie du casting vocal réengagé ici.
Le personnage de la jeune princesse, toujours là et interprété par la jeune actrice Nehir Hasret accompagne la Reine en double, lui rappelant ses engagements et lui renvoyant le reflet de son innocence perdue.
Entourée par l'oppression de la cour d’Angleterre qui assiste au déclin psychologique d’une reine toujours aussi puissante, Elizabeth sombre parmi sa Cour. Les Chœurs de La Monnaie dirigés par Giulio Magnanini s’imposent davantage encore qu’au premier épisode, serrant l’intrigue comme un étau sonore puissant et vibrant. Le résultat sonore entoure l’intrigue et le cadre de Westminster mais également le public.
Le rôle principal de l’opus était voué à la soprano grecque Myrtò Papatanasiu, mais qui doit comme pour la première du premier épisode céder la place à Francesca Sassu prévue en alternance. Ne reprenant pas là où elle en était restée au premier épisode, celle-ci semble peiner à s’imposer dans la distribution durant la première partie de l’opus, les aigus étant sensibles mais fragiles. Comme l'avant-veille et plus encore dans ce drame, elle finit toutefois par basculer dans le tragique et maîtriser vocalement (si ce n’est théâtralement) une mort puissante et communicative. Dépouillée de ses costumes, elle réussit à se concentrer sur sa voix et offrir un finale alliant la ligne Donizettienne avec des résonances brillantes.
Enea Scala, qui avait brillé dans la première partie revient ici avec un rôle plus en retrait. Fidèle à sa voix belcantiste, le ténor italien dessine un Leicester tourmenté et sentimentalement fuyant (cette Reine), vibrant à souhait. Il se voit hélas confier une mort silencieuse.
Mère tendre d’Elisabetta, Anna Bolena qui la visite régulièrement en songe est figurée par Salome Jicia. La voix riche et aérienne de la soprano géorgienne déploie aussi bien des arias de colère qui percent avec une clarté remarquée (figurant la femme assassinée par son mari) que la douceur d’un timbre empathique envers le destin tragique également de sa propre fille.
Luca Tittoto sculpte un Henry VIII autoritaire, bien campé dans sa posture et son costume, avec ses accents mais sans heurter l'équilibre de son phrasé. L’interprète reste fidèle à son incarnation d’un insensible Barbe Bleue.
Sergey Romanovsky incarne le favori de la reine, Roberto Devereux avec sa voix de ténor vibrante. L’aisance théâtrale et vocale relie l’humble et l’austère avec la ligne bel cantiste (dans les couleurs du timbre) d’un pudique romantisme.
Très appréciée du public belge, Lenneke Ruiten revient après une autre Trilogie (Mozart Da Ponte). La soprano déploie comme à son habitude sa puissance charismatique, précise, de jeu comme de voix, sculptant une Maria Stuarda de pouvoir, rivale de cœur et de trône d’Elisabeth. Après l'entracte, son incarnation en impose au point de visiblement imposer au public l’attention d’une nouvelle allégeance (par opposition au fait que la salle se levait dans l’épisode précédent, pour saluer la nouvelle reine) et ce jusqu’à son assassinat qui s’impose comme le moment le plus tragique.
Marchant vers un destin tout aussi tragique, Raffaella Lupinacci interprète le rôle double de Jane Seymour et de la Duchesse de Nottingham enceinte de Roberto Devereux, en rivalité avec la reine. La mezzo-soprano y déploie la palette tragique de ses arias aigus et puissants. Sa voix chaude, boisée et vibrante rejoint la maîtrise vocale de Bruno Taddia en Duc, qui impose après l’entracte le naturel de sa voix de baryton, sombre et puissante (d’autant plus en décalage et d’une lecture complexe avec son rôle par ailleurs muet au service de la reine).
David Hansen en Smeton/conteur incarne l’humour british, ouvrant le spectacle avec ses aigus brillants et chaleureux. Gavan Ring, son compère de narration et Monsieur Loyal de cette pièce royale devenant circassienne, tient une voix de ténor subtile (avec même un solo au tambour), narrant a cappella les absurdités de cette cour sur une marche militaire au tempo du temps qui passe.
L’accueil du public, prié à nouveau de se lever, afin d’offrir une dernière allégeance à la reine mourante, le fait en tenant ses applaudissements jusqu’au tombé du rideau. Après ce diptyque concentrant une Tétralogie sur la figure de cette Reine d’Angleterre, le prochain temps fort lyrique de La Monnaie sera consacré à son père : Henry VIII, avec l’opéra composé par Camille Saint-Saëns.