Une Cenerentola participative et pétillante au Grand Théâtre de Bordeaux
Rares sont les événements qui font autant bruisser le Grand Théâtre de Bordeaux, avant même le lever de rideau. Dans la belle salle à l’italienne, son décorum d’époque et ses sièges en velours, l’excitation est palpable en ce dimanche ensoleillé. Mais qu’attendent donc tous ces enfants, accompagnés de leurs parents ? Le dessin animé quotidien ? L’heure du goûter ?
Ils étaient tous rassemblés pour assister… à un Opéra, un vrai ! Décors, costumes, orchestre, comédiens et chanteurs vont bientôt déployer devant eux les riches moyens d’un spectacle lyrique pensé pour leur donner un aperçu fidèle de cet art trop peu ancré dans leur imaginaire. Son sujet en revanche, l’est, et a sans doute été volontairement choisi pour s’adresser à des enfants : l’histoire bien connue de Cendrillon, au travers de la lecture qu’en a faite Rossini, avec sa Cenerentola.
Raccourci pour l’occasion (1h15 de spectacle), la partition de Rossini reçoit le même traitement qu’une production d’Opéra habituelle. Le metteur en scène Daniele Menghini a monté une production colorée et très rythmée, pleine de gags et de cabrioles, en introduisant trois comédiens farceurs chargés d’animer le plateau scénique en même temps que de dérouler l’intrigue bien connue de ce conte pour enfants. Ce trio comique fait des merveilles et déclenche bien souvent l’hilarité générale. Chez les petits… et les grands !
Les personnages de cette Cenerentola revisitée sont transposés dans l’Hôtel des Rêves. Angelina (Cendrillon dans le conte) y est une femme de chambre, malmenée par Don Magnifico (le père adoptif), patron avide de gloire et d’argent, tout comme ses filles (Tisbe et Clorinda). Le prince (Don Ramiro) décide ici aussi de trouver l’amour véritable en se faisant passer pour son valet (Dandini), promu pendant la quasi-totalité de l'œuvre en aristocrate parvenu, sous les yeux du bienveillant messager Alidoro (façon cupidon, apportant le courrier d'invitation au bal, et tirant ensuite discrètement les ficelles pour que l'amour et la bonté triomphent). Comme dans l’œuvre de Rossini, tout ces rôles sont tenus par un plateau de chanteurs solistes, pour qui le découpage de la partition est un réel défi. En effet, dans presque tous les airs solos, seules les cabalettes ont été retenues, privilégiant l’efficacité musicale et le rythme du spectacle au confort des solistes.
Dans cet exercice, la mezzo-soprano Anne-Sophie Vincent brille par la précision de ses vocalises. Le timbre léger de cette colorature d’un jour correspond très bien à l’ambiance du spectacle, plein de rebonds et d’espièglerie. Manquant de profondeur dans les graves (un sacrifice peut-être stratégique), sa voix se perd un peu dans les ensembles, mais ressort avec éclat dans le duo “Un doux je ne sais quoi” avec Don Ramiro. Côté scénique, le jeu de cette ingénue au cœur pur restitue pleinement l’espièglerie, parfois d’un simple sourire en coin ou d’un clin d'œil appuyé.
Autre personnage central de l’intrigue, le Dandini de Sergio Villegas-Galvain est impressionnant de cohérence. Partout dans la tessiture, la voix est brillante, timbrée et souple. Dans un équilibre de puissance et de douceur, sa technique ne laisse aucun aigu passer en force, et la direction d’acteur, qui exige beaucoup d’expressivité corporelle, ne semble pas déranger la ligne de souffle. Le comédien ne bouscule jamais le chanteur, et il s'en voit salué.
Voilà toutefois la difficulté majeure que doit encore surmonter Benoît-Joseph Meier (Don Ramiro). Parfois impliqué, parfois en retrait, sa performance globale souffre un peu de la comparaison avec l’énergie de ses collègues, ce qui n’enlève rien à la beauté de la voix. Lorsqu’il se trouve dans de bonnes dispositions scéniques, ce ténor léger impressionne de facilité dans les aigus d’une grande douceur et les vocalises scandées avec agilité. Il sait en outre adapter sa tessiture globale aux redoutables lignes exigées par les rôles de ténor rossinien.
Don Magnifico est incarné par la voix puissante et brillante de Nicolas Brooymans. Habitué au baroque, sa souplesse vocale lui permet de s’adapter sans problème aux ensembles, et d’y faire entendre les graves chaleureux d’une basse de métier. Dans ses interventions solo, la voix est profonde et riche d’harmoniques. Partout, sa stature et sa présence scénique dominent la scène, et captent le regard.
Le baryton Antoine Foulon est un impeccable Alidoro. La voix est très claire, mais ne manque pas de profondeur, ce qui aide beaucoup à le faire remarquer dans ses interventions. Toujours à l’aise, à la fois vocalement et scéniquement, le public se souviendra de son arrivée triomphale… en trottinette électrique !
Pour compléter le cast, la mezzo-soprano Sara Gouzy incarne une Tisbe moins impressionante vocalement que sa soeur Clorinda, campée par la soprano Laurène Paternò, qui en impose par sa puissance et son énergie débordante. Sara Gouzy affiche tout de même un timbre lustré, contraint par une version qui ne laisse que peu de place à ces deux personnages.
La fosse à taille réduite est composée de musiciens de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine. En petite formation, l’ensemble donne un grand relief à cette Cenerentola. Tous semblent heureux à l’idée de jouer cette production joyeuse et enlevée, et cela s’en ressent dans l’énergie que la musique parvient à communiquer au plateau. Une joie qui se retrouve dans le sourire affiché par la cheffe polonaise Joanna Natalia Ślusarczyk, elle aussi animée de cette âme rossinienne jubilatoire. Son geste est ample quand il le faut et précis lorsque les événements musicaux se bousculent. Elle sait faire preuve d’une grande pédagogie lorsqu’il s’agit de se retourner vers le public pour le diriger à son tour.
Car cette Cenerentola revisitée s'inscrit dans la lignée des opéras participatifs. À des moments bien choisis, le public devient acteur - ou plutôt chanteur ! - de l’opéra, en reprenant quelques refrains. Pour se préparer à l'événement, le site de l’Opéra National de Bordeaux (comme les autres lieux proposant cette production) proposait ainsi des enregistrements de ces passages, et le moment venu, le surtitrage affiche en majuscules les paroles. Une répétition s’est même tenue avant le spectacle, dans les foyers du Grand-Théâtre. Une chance unique pour ces jeunes spectateurs de marquer leur présence par autre chose qu’une écoute attentive et des applaudissements nourris. Ce qu’ils ne se sont pour autant pas privés d’offrir aux artistes de cette belle production, qui a mis de la joie et du soleil dans le ciel de Bordeaux !
Retrouvez notre compte-rendu de ce spectacle au TCE avec Juliette Mey dans le rôle-titre