Petite Messe Solennelle, grand défi choral à l’Opéra de Bordeaux
Un opéra sacré : voilà comment pourrait être décrite cette Petite Messe Solennelle d'un héraut du bel canto, Gioachino Rossini. Suivant les séquences liturgiques habituelles, du Kyrie inaugural à l’Agnus Dei final, cette œuvre qui n’a de petite que le nom (1h30 environ pour son exécution) enchaîne les parties chorales, les airs solos et les ensembles, dans le style foisonnant et théâtral reconnaissable pour l’auteur du Barbier de Séville et de La Cenerentola.
Justesse en chœur
Le chœur joue bien entendu un rôle prépondérant pour cette œuvre sacrée, et certains des passages les plus emblématiques de cette partition font intervenir une masse collective de chanteurs. C'est ainsi une épreuve en soi que d'arriver au bout de la grande fugue Cum Sancto spiritu du Gloria, avec ses plus de 5 minutes d’une musique entrelacée. Les vocalises traversent les pupitres en permanence, et pourtant, il faut avoir une oreille sur ses collègues pour ne pas couvrir leurs interventions saillantes. Car “Relief” est ici le maître mot.
Un mot que le Chœur de l'Opéra National de Bordeaux semble avoir érigé en Credo, tant les nuances, les respirations et les attaques sont claires et respectées. Dans l’Agnus Dei, la troupe de chanteurs aux voix lyriques et puissantes se transforme en une foule recueillie et émue, attachée à faire une place à la soliste qui leur répond. Un pianissimo général d’une grande qualité, et d’une justesse parfaite mène à nouveau vers les couleurs annoncées au début du concert dans le Christe Eleison, dans le plus grand dépouillement vocal.
Un chef engagé
Salvatore Caputo est bien connu des lieux pour son geste fougueux et prompt à pousser le tempo d’un cran quand la musique le demande, faisant de son dynamisme et de son regard levé et pétillant une marque de fabrique. Une telle attitude sied grandement à Rossini, et dégage l'évident plaisir que prend le chef italien à diriger cette partition.
Pour autant, ne sombrant jamais dans la caricature, il sait aussi tenir une cadence raisonnable dans la fugue, garantissant un certain confort à son chœur qui peut ainsi déployer les innombrables vocalises sans avoir peur de l’accident. Un confort partagé par le public, qui peut alors distinguer toutes les voix, toutes les notes et toutes les inflexions de ce temps fort choral du concert.
Des solistes au tempérament inégal
Pour porter l’ensemble de cette messe vocale, il faut des chanteurs aux voix pleines et opératiques, de la puissance et de l’endurance. La basse Thomas Dear ne manque ni de l’une, ni de l’autre. Son timbre profond et tonitruant impressionne, mais possède une tendance irrépressible à couvrir les autres voix (manquant de délicatesse de timbre) dans les nombreux ensembles qui jalonnent la pièce.
À l’inverse, la voix de la mezzo-soprano Lauriane Tregan-Marcuz paraît en retrait dans ces moments collectifs. La chanteuse se fait plus discrète encore que sa tessiture au milieu de l'ensemble. Elle se réserve pour son air solo dans le finale de l'œuvre : là, dans un fauteuil sonore préparé par ses collègues du chœur, elle déploie la chaleur de son timbre et la clarté de ses aigus, faisant courir un frisson dans la salle.
La partie de ténor est assurée par Léo Vermot-Desroches, qui déploie le lyrisme de la voix quasi-verdienne demandée par son solo. Il remplit la salle de ses harmoniques d’une constante richesse. La conduite du souffle est intense, tenant tout le public en haleine pendant que se déroule la ligne souple de son phrasé.
La soprano Marianne Croux complète le plateau de solistes. Particulièrement à l’aise dans les ensembles, son expérience de chambriste joue pour elle, lui permettant de jouer avec son placement vocal pour se fondre dans l’harmonie générale, et de ressortir quand la musique le demande. Dans l'O Salutaris Hostia, elle parvient à donner une rondeur supplémentaire à son timbre, pour en faire un moment d’un grand lyrisme, un peu poussé même (il faut dire que l’écriture de Rossini entraîne à la grandiloquence parfois jusqu'à l'excès).
La Petite Messe Solennelle de Rossini est ainsi nommée car, dans sa version d’origine, elle est prévue pour seulement deux pianos et un harmonium. La version du soir fait intervenir un seul piano et un orgue pour accompagner les chanteurs et remplir le rôle souvent dévolu à l’orchestre dans ce type d'œuvres. Un rôle que la pianiste Maria Luisa Macellaro la Franca (par ailleurs chef d'orchestre) prend très à cœur. Dans les passages furieux et enlevés, sa fougue la fait parfois déborder, au point de commettre quelques erreurs de note remarquées. Une impression globale que vient compenser son interprétation de l’interlude pendant l’Offertoire, particulièrement inspirée. Martin Tembremande à l’orgue livre lui une prestation égale, sûre et sans emphase, dans une partition où l'instrument du sacré doit donner le ton de l’office pour lequel elle a été composée. Une sobriété bienvenue dans cet hymne religieux au lyrisme débordant.
Après cette heure et demi de musique ininterrompue, le public bordelais salue chaleureusement son chœur, ainsi que tous les acteurs de cette soirée à grand spectacle musical. Une ovation méritée, car pour monter un tel monument sacré, dans une saison avec autant de sollicitations, il faut du courage... et un peu de foi.