Candide de Bernstein donne la leçon au Palais Universitaire de Strasbourg
Deux avant-propos introduisent la situation. Le premier, celui tenu par Guillaume Bidar, bassoniste de l’Orchestre et représentant syndical des musiciens, annonce la tenue du spectacle malgré le soutien de la phalange pour la contestation demandant le retrait du texte de réforme des retraites. Le second, celui du directeur de l’Opéra, Alain Perroux annonce un absent : le rôle de Candide, initialement confié au ténor Damian Arnold, sera finalement pris au pied levé par Glen Cunningham, arrivé cette saison à l’Opéra Studio (un double remplacement, pour cette seconde date et le surlendemain à La Filature de Mulhouse).
Les discrètes statues de ce palais rénové, dont celle de Leibnitz, sonnent comme un commentaire à propos de l’opéra, répondant en quelque sorte au Candide de Voltaire dont est inspirée l’histoire. Pour cette version de concert, l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, dirigé par le jeune et déjà expérimenté Samy Rachid, s’installe sur une scène surélevée au fond du Palais Universitaire de Strasbourg. Le Chœur de l’Opéra National du Rhin en habit noir et installé classiquement derrière l’Orchestre parvient aisément à remplir l’espace acoustique du Palais. Les passages un peu plus techniques comme Money, Money, Money montrent le résultat d’une bonne préparation du chef de Chœur Hendrik Haas, visiblement très attentif à l’équilibre des voix entre elles et à la justesse. La performance du soir est aussi celle de Samy Rachid. Ses gestes très fluides mais précis conduisent sa direction, mais son tempo généralement très allant vient se heurter à plusieurs reprises à l’acoustique très réverbérante de la salle. Le chef d’orchestre dynamique parvient à entraîner l’ensemble des musiciens dans une version efficace avec quelques décalages ici et là, mais chaque fois arrivant à bon port, rassurant le public qui applaudit spontanément entre les scènes.
Homme de théâtre, de cinéma, mais aussi chanteur, armé d’un micro-cravate dont il pourrait même se passer, Lambert Wilson endosse le rôle de narrateur en langue française entre les scènes. Sans entrer dans la démesure burlesque de la version de Candide par Barrie Kosky à l'Opéra comique de Berlin (notre compte-rendu), l’option est plus ici dans la théâtralisation chic d’une narration courte de l’histoire qui joint les scènes entre elles. Lambert Wilson assume aussi le rôle de Pangloss en anglais d’une voix fluide de baryton qui, malgré des notes un peu écourtées par manque de souffle, quelques libertés sur le tempo et une justesse améliorable sans toutefois choquer, impose le respect de son anglais chanté. Ce rôle théâtral par essence lui sied, mais il s’épanouit davantage encore quand il s’agit de jouer le cynique Martin avec ses rires forcés et drôles.
Glen Cunningham assume le rôle de Candide rajouté à son rôle de Gouverneur initialement prévu. Le ténor confirme avec son courage la puissance et la rondeur de ses aigus, avec généralement beaucoup de vibrato mais une respiration très discrète. Quittant à quelques moments sa tablette des yeux, il incarne alors d’autant mieux le rôle, offrant notamment ses yeux humides à Cunégonde et interprétant de façon poignante de désespoir Nothing More Than This.
CANDIDE Bravo à Glen Cunningham ! Vendredi soir, @GlenACunningham a réalisé une performance imprévue et remarquable dans le rôle titre de la comédie musicale Candide ! L'après-midi même, le ténor a repris le rôle au pied levé. Toï toï toï pour la dernière à Mulhouse ! pic.twitter.com/nSbYFj96AD
— Opéra national du Rhin (@Operadurhin) 19 mars 2023
La soprano Floriane Derthe parée d’une robe brillante aux teintes bleutées et or intègre à son interprétation du rôle de Cunégonde des jeux de regard à destination du public. Ses suraigus au vibrato serré passent avec beaucoup d’aisance. La difficile mélodie Quiet est surmontée sans tension ni antisèche.
Liying Yang s’amuse visiblement à incarner son rôle de Vieille Dame, avec un accent polonais caricatural (avec « r » roulés à l’excès, voyelles déformées en fin de mot). À l’image de son aisance scénique, sa voix ronde emplit l’espace et soutient les chants autour d’elle.
La mezzo-soprano Brenda Poupard déploie sa puissance vocale pour interpréter Paquette dans le palais, mais avec un vibrato un peu large, perdant au passage l’audibilité de ses consonnes (pour se concentrer sur la justesse mélodieuse des voyelles). C'est celui avec lequel elle traîne, Maximilien, à l’allure de faux cancre au costume bleu interprété par le baryton-basse Oleg Volkov, qui a vraisemblablement récupéré ses consonnes pour complémenter son registre grave, naturellement puissant. Un vibrato moyennement large ne l'empêche pas d'être très intelligible.
Un peu en opposition et dans ses différents rôles (dont celui de Capitaine et d’inquisiteur), le baryton Andrei Maksimov se fait l’élève réservé du groupe avec discrétion dans les chants d'ensemble, mais pour mieux déployer sa grande capacité dynamique. Le ténor Iannis Gaussin est très expressif théâtralement en Vanderdendur, articulant nettement son chant d’une voix au timbre clair. Amusant le public, il montre une grande habilité à gérer le tempo rapide imposé par son Bon Voyage !
Le public rappelle et applaudit chaleureusement les artistes, notamment Candide. La jeunesse, réunie autour de cet opéra, sur le plateau et en salle, a de quoi rendre optimiste (et mènerait même par moment à rêver que "tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes").