Café Libertà à l’Opéra de Massy
Connu particulièrement en Éthiopie et au Yémen depuis le IXe siècle et devenue boisson incontournable à travers le monde, le café a été popularisé en Europe au XVIIe siècle, grâce à ses propriétés stimulant les esprits et incitant aussi à se réunir pour échanger, réfléchir, débattre, créer, s’émanciper. Autant d’esprits réunis dans une boisson corsée qui inspira déjà Nicolas Bernier et Jean-Sébastien Bach à composer chacun une cantate sur cette boisson. Ces deux œuvres font le corps de ce spectacle, servant tels de riches grains torréfiés que viennent ici moudre l’alliance de musique baroque et de danse contemporaine, en un mélange à la fois fin et robusta.
La complicité complète des musiciens, des chanteurs et des danseurs s’inspire (dans les gestes corporels et musicaux) des onctueuses et poétiques volutes qui s’échappent d’une tasse de café ainsi que des propos-mêmes des œuvres chantées. Les quatre danseurs du Centre Chorégraphique National de Nantes (dont leur directrice Ambra Senatore) se cachent d’abord parmi les musiciens, s’en échappent pour y revenir ou partager avec eux un moment autour d’une tasse chaude. Des moments en soliste leur offrent aussi l’occasion de montrer la souplesse de leur technique, d’autres celle de montrer un travail collectif uni.
La simplicité relative de certaines chorégraphies (non moins efficaces pour autant), la souplesse, les volutes, la clarté de ces mouvements “cafégraphiés” qui peuvent ralentir pour mieux donner envie de reprendre un expresso permet aux chanteurs de se joindre constamment à la danse, qu’ils chantent ou non. La soprano Léa Bellili soutient le résultat sonore par sa projection équilibrée avec un timbre clair, de frais aigus, mais le grave n’est pas encore torréfié. Louise Roulleau (également soprano de l'Atelier Lyrique de l’Opéra de Massy) propose un timbre rond et chaleureux aux phrasés aussi fluides et aisés que sa gestuelle. Le chanteur haute-contre Jean-François Lombard déploie la sensibilité de son interprétation des textes et la tendresse de son timbre, soutenu par un joli vibrato (quoique la présence pourrait s’affirmer davantage pour assurer sa ligne vocale). De sa voix profonde et non sans facéties, Matthieu Heim complète le programme a cappella avec l’air à boire « Caffé délicieux » d’un certain Monsieur de la Tour.
Disposé en fond de scène, l’Ensemble Les Paladins participe avec un délice patent à l’action scénique, certains musiciens contribuant même avec quelques gestes discrets à l’animation chorégraphique, encouragés par leur chef qui ne se prive pas de gentilles plaisanteries. Il interrompt ainsi soudainement la Fantaisie de « La Bizarre » (Suite pour orchestre de Telemann) pour une inattendue et brève pause-café. Cette vitalité se ressent dans l’interprétation musicale qui respire la subtilité, la finesse des nuances piano et précises, homogènes et présentes (quoique ce soit la vitesse qui fasse le plus grand effet caféiné sur le public). La fluidité des phrasés s’allie à la rigueur rythmique, offrant ainsi la précision nécessaire au discours et à la danse.
Après un finale scéniquement explosif – l’effet d’un trop-plein de caféine ! –, le public applaudit avec entrain cette production originale, repu d’une bonne dose de musique légère et entrainante, et non moins forte d’un message sincère de partage et d’humanité.